Weisshorn (4506m)
Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas Elise qui se collera à l’exercice du récit de course. En effet, pour la première fois depuis nos débuts en montagne, je vais entreprendre une course sans elle.
Un de nos objectifs en montagne (enfin surtout le mien) était de gravir tous les sommets de la couronne impériale, soit le Zinalrothorn, le Cervin, la Dent Blanche, l’Ober Gabelhorn, et le Weisshorn.
Cette collection de 4000 nous a toujours fascinés depuis la première fois qu’on l’a vue depuis la cabane du Grand Mountet. Ces sommets me paraissaient tellement inaccessibles que je n’aurais jamais cru que 3 ans plus tard, j’allais tenté le dernier d’entre eux, le Weisshorn.
Mais après l’expérience d’Elise sur l’Ober Gabelhorn, elle a préféré se recentrer en cette fin de saison sur des courses qui lui conviennent mieux dans l’approche et le style, or le Weisshorn présente toutes les caractéristiques inverses : longue montée en cabane, gros dénivelé jusqu’au sommet, longue arête de neige, course d’horaire, pas d’échappatoire, etc…
Je pars donc seul avec Jérôme pour ce qui sera ma dernière sortie en haute montagne cette saison, direction Randa, 3 jours après avoir réalisé la traversée du Breithorn….
- Avantage: J’arrive avec un brin d’acclimatation.
- Inconvénient: Je suis crevé et je traîne toujours ma p’tite grippe
Avant de partir, on apprend que le gardien de la cabane a déjà fait ses valises pour se tirer probablement au chaud et laisse la cabane non gardiennée. Traduction: faudra monter notre bouffe… En plus, j’ai décidé de monter en chaussures d’approche avec les grosses sur le dos.
C’est chargé comme des sherpas surexploités que nous partons en direction de la cabane et ses 1400m de dénivelé.
Dès les premières minutes, j’ai déjà les jambes lourdes, le souffle court, je me sens surchargé, j’ai peur que cette montée soit plus pénible que prévue.
Et en effet ça aura été le cas ! J’ai souffert durant toute cette montée sans jamais trouver mon rythme, et pire : je crains d’avoir déjà puisé dans mes faibles réserves…
C’est donc pas au top de ma confiance et de ma forme qu’on se pose à la cabane au pied de ce gigantesque Weisshorn….
Je fais un peu ma Elise en balisant pour le lendemain… J’ai peur d’être trop affaibli pour y arriver, peur d’avoir attendu trop longtemps pour me soigner, peur également que cette course soit celle de trop pour cette année.
Mais j’essaie de positiver en me disant que de toute façon je partirai plus léger, que maintenant j’ai les ressources nécessaires pour compenser cette baisse de forme et que la nuit sera peut-être bénéfique.
Or la nuit est très courte étant donné que le départ est pour 2h30… (Plus jamais je me plaindrai d’un réveil à 4h du mat…)
Mais malgré les 45 degrés qui régnent dans la chambre, j’ai l’impression d’avoir plus ou moins réussi à me reposer. 2 pains au chocolat et un enfilage de baudrier plus tard, nous voilà partis pour le sommet !
La route sera longue, je le sais. Ca se jouera pas mal dans la tête, je vais donc appliquer la stratégie des étapes qui consiste à diviser la course en une série d’étapes.
J’ai commencé à fonctionner comme ça depuis l’année passée où j’avais la sale tendance à déjà penser à la descente alors que je n’avais même pas atteint le sommet… Le truc désespérant à souhait sur les longues courses.
Première étape donc, choper le couloir, après avoir traversé le glacier et quelques passages rocheux. Cette partie a la réputation d’être assez paumatoire, notamment du fait qu’on y passe en pleine nuit. On est sans arrêt à la recherche d’un Kairn ou d’un spit indiquant qu’on est sur le bon itinéraire.
Niveau physique, c’est pas la forme de ma vie, mais on avance bien, tellement bien qu’on rejoint l’arête principale et la fameuse Frühstückplatz de bonne heure… j’avais toujours vu des photos de cet endroit de jour et là il fait toujours nuit noire, ce qui me conforte sur notre rythme.
J’aperçois aussi au fond la silhouette massive du sommet…. je m’y attarde pas trop car je sais bien qu’on en est encore très loin…
C’est reparti ! Nous entammons la première partie l’arête rocheuse composée de joli passages d’escalade jamais durs et quelques passages en funambules où faudrait éviter de se prendre les crampons dans le pantalon, tout se passe nickel, on avance toujours à bon rythme.
Après la fin des difficultés, on arrive au pied de l’arête finale neigeuse. Il est 6h30, le soleil est sur le point de se lever, j’en profite pour envoyer un ptit SMS à mon Elise pour la tenir informée… mais aussi pour avoir un peu le sentiment de grimper avec elle.
D’après mon altimètre, il reste un peu près 400m de dénivelé jusqu’au sommet… En temps normal sur un terrain en neige peu difficile, il nous faudrait environ 1h pour en venir à bout. Donc tout positif que je suis je me dis la fin est proche, un pas devant l’autre, la tête baissé et on arrivera bientôt au but !
La première partie se passe bien, je la compare à l’Ober Gabelhorn où j’avais bouclé avec Yohan la dernière arête neigeuse assez rapidement alors qu’elle paraissait horriblement lointaine. Je me dis que ça devrait passer pareil ici… Juste une question de choper un bon rythme.
Mais après un court arrêt photo pour admirer le lever du soleil sur le Cervin, je n’arrive plus à retrouver le moindre rythme, pire mon cœur commence à battre la chamade comme jamais à chaque pas.
Je me dis que ça passera, mais non c’est même pire, au point que je suis obligé de m’arrêter pour reprendre mon souffle… L’altitude me matraque… je n’avais jamais ressenti ses effets si violemment dans les Alpes !
La suite est une succession d’une vingtaine de pas de suite, puis au moins 30 secondes pour reprendre mon souffle, avachi sur mon piolet, comme si je gravissais un 8000m.
Tant bien que mal on arrive au pied des derniers rochers, une quinzaine de mètres sous le sommet. J’aperçois la croix. Un dernier effort et quelques pas d’escalades plus tard et me voici au sommet du Weisshorn ! Il est 7h50.
Je crois que ma première réaction est un sentiment de libération. Libéré de cet effort, de toute cette pression que je me mettais depuis des mois pour faire ce sommet.
Puis c’est un un sentiment d’accomplissement et de fierté qui s’empare de moi., Sentiment que ai-je veux tout de suite partager par un ptit sms à Elise… et aussi un status Facebook 😉 (ouais si jamais y’a de la 3G qui passe nickel au sommet, toujours utile pour poster un ptit tweet pour nous alpinistes un peu geek).
On passe un bon moment au sommet, les conditions sont parfaites, pas froid, pas de vent, vue sublime, bref juste pas envie de redescendre. Ça fait aussi du bien de pouvoir vraiment profiter du sommet et pas juste redescendre 2 minutes après être arrivés.
C’est particulièrement appréciable surtout quand je sais ce qui m’attend: 3100m de dénivelé négatif jusqu’à la voiture, mon t-shirt propre et mes crocs… C’est dans ces moments-là que tu serais prêt à te péter volontairement la cheville pour appeler l’hélico…
Mais comme pour la montée, je me dis qu’il faut y aller par étape et rester positif.
La première partie de la descente casse un peu les pattes, puis ensuite les passages dans les rochers s’enchaînent sans trop de problèmes (malgré quelques ptites frayeurs…un de mes pied avait la fâcheuse tendance à aller voir du côté de la face Est) mais il s’agit de rester concentrer et de ne pas se relâcher.
De retour au Frühstückplatz, petite pause et on repart dans le couloir. Et là miracle : c’est comme si je ne sentais plus la fatigue ou la douleur, ça descend tout seul et vite. Bref je vole.
Plus ou moins rapidement on se retrouve donc vers le glacier et après une dernière pente casse-patte en crampons, on est de retour à la cabane ! Il est 12h15 !
J’adore les retours en cabane, tu te sens un peu comme un survivant et tu sais que les difficultés sont derrières et là tu peux réellement commencer à apprécier ton sommet.
Seul bémol cette fois-ci, y’a pas de Rivella de la victoire, ni même de Coca pour Jérôme… ce sera donc la bière de la victoire (pour moi) ce qui me va aussi. On aura mis 10h aller-et-retour, franchement j’aurais jamais osé parier sur un tel temps, les topo annoncent en général 7h pour aller au sommet, on en aura mis un peu plus de 5.
Je ne regrette pas du coup toute la préparation faite cet hiver avec Elise, tous ces dénivelés à ski, à la course, en vélo… C’était pas toujours très drôle, mais ça a payé.
Après cette pause bien méritée, on enfile donc nos baskets (le bonheur) et on repart pour les derniers 1400m de descente de sentier jusqu’à la voiture… on se la fait en mode Kilian Jornet en descendant presque en courant (marche allongée selon Jérôme) et à 15h on retrouve la voiture, mon t-shirt propre et mes crocs.
Ça c’est fait ! Voilà encore une magnifique saison passée en montagne ponctuée par un magnifique sommet !
Un grand merci donc à Jérôme pour m’avoir donné la chance d’aller au bout de mon rêve et merci à Elise de m’y avoir autorisé et de m’avoir soutenu.
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