Petite Dent de Morcles – voie Roc Champion
On me demande souvent pourquoi j’aime les montagnes et pourquoi je fais de l’alpinisme. Quel est le plaisir de se lever, les jours de congé, à 4h du matin (au mieux). De dormir à côté d’un suisse-allemand tout transpirant qui ronfle dans une cabane, sur un matelas humide. De marcher des heures et des heures. De lever la tête, de voir le sommet au loin, et de se dire qu’on n’y arrivera jamais. Plein de fois, quand le réveil sonne, je me dis « quelle idée à la con. Mais pourquoi je ne me suis pas mise au scrabble ? ». Quand, entassés comme des sardines dans une benne, je me surprends à me mépriser de faire de l’alpinisme, à faire les moutons comme tant d’autres, à exposer mes pseudos « exploits » sur les réseaux sociaux, avec tous ces hastags débiles. A me demander quand est-ce que ça a foiré en voyant dans mon fil d’actualité tous ces braves gens qui partagent fièrement leurs dénivelés positifs et leur film Garmin ou Suunto, fiers de leurs exploits, kilomètres parcourus, dénivelés « avalés ». Vraiment. Des fois je me pose de sérieuses questions. C’est donc ça la montagne? Une mise en scène permanente ? Une course à la performance ?
Et puis en général, toutes ces questions s’évaporent rapidement. Dès que, après des heures de montée dans la nuit, le soleil se lève sur les montagnes. Dès que je vois le sommet se rapprocher, alors que je ne pensais pas être capable d’y arriver. Dès que je vois ces moments de partage et de rigolade avec Eric et Jérôme, ou avec mon amoureux. Dès que je croise des bouquetins, dans des endroits improbables et solitaires. Parce qu’au final, la montagne est belle. Enivrante. Ca ne tient qu’à nous de ne pas trop la saloper et la dénaturer.
Autant j’étais dans le côté « enchaînement des 4000 » quand on s’est mis à l’alpinisme en 2011, autant j’ai vraiment changé de philosophie depuis 3-4 ans. Je privilégie désormais les moments de partage, les courses pas forcément spectaculaires ou courues (même si bon… il reste 1-2 sommets bien connus que je rêve de faire !). Et c’est dans cette optique aussi que Guillaume et moi essayons de nous trouver des moments à 2 en montagne. D’autant plus qu’on commence à se débrouiller seuls, enfin surtout Guillaume, qui n’a pas peur d’aller en tête (moi… c’est une autre histoire ! J’ai une grosse marge de progression, mais je ne perds pas espoir !)
Guillaume me propose de faire la voie Roc Champion de la Petite Dent de Morcles. C’est une course qui se fait à la journée, et c’est vrai que cette Dent me fascine ; on la voit depuis l’autoroute, elle a un côté un peu « Dolomites » et j’ai bien envie d’aller y faire un tour ! En 2 semaines, nous avons pu nous entrainer lors de la traversée du Luisin ou en refaisant la traversée des Perrons, et c’était vraiment 2 chouettes moments.
On part de la maison direction Morcles, et on continue la route jusqu’aux Martinaux. De là, la route est barrée. Mais on a eu la meilleure idée du monde : acheter des VTT électriques. Et c’est donc légers et frais que nous gagnons de l’altitude (j’adresse ici ma reconnaissance éternelle à l’inventeur de ces vélos électriques !) pour arriver à Riondaz. La route est jolie, on voit la Petite Dent, qui n’a pas l’air franchement près… mais bon, il est 9h, on a le temps !
De là, il y a environ 2h d’approche. C’est d’abord un sentier, et il faut ensuite emprunter la grande vire dessous qui mène au col des martinets. La vire est relativement bien marquée au début… mais après c’est une autre histoire et ça devient bien expo ! Normal… on se rend compte qu’on est allé trop loin ! On revient sur nos pas (ah ! J’aime pas ce genre de terrain pentu, avec plein de cailloux qui filent sous les pieds, sans pouvoir s’accrocher à quoique ce soit avec les mains !). On arrive tout de même au point de départ. De là, une cinquantaine de mètres d’escalade facile, qu’on fait encordés.
On arrive ensuite au départ de la voie à proprement parlé, avec une première longueur qui grimpe comme il faut. Guillaume est en tête et il randonne. Moi, je dois toujours avoir un temps d’adaptation pour grimper avec mes grosses chaussures de montagne. D’autant plus qu’il y a un split qui est vissé tout à gauche de la voie. Pour Guillaume, qui mesure quasi 2mètres, il lui suffit de tendre un peu le bras pour clipper la dégaine et passer la corde. Pour moi, c’est une autre histoire, et je me retrouve sous une espèce de dévers aux prises patinées à essayer de me déboiter l’épaule pour décliper. Ah ben ça a le mérite de chauffer les bras tout ça !
Chaque longueur est différente, et la voie doit être passionnante pour les géologues ! La roche change à chaque instant. Une longueur se fait dans une roche rougeâtre qui s’effrite ; c’est déconcertant et il faut tester chaque prise. La longueur suivante se passe dans un joli dièdre et est super plaisante. En plus, le décor est super austère et assez gazeux ; faut dire qu’on a pris de l’altitude entre l’approche à pied et en VTT.
Je me motive à faire la longueur suivante en tête. Parce que bon, si je me contente de rester en seconde de cordée, je ne vais jamais progresser. L’engagement est tout de suite différent, et la peur de la chute omniprésente. Il n’y a quasiment pas de point d’assurage ; je mets un friend dans une petite fissure mais je ne suis pas sûre qu’il tienne si bien que ça… S’ensuit un petit pas qui fait tester ma souplesse (j’ai l’impression d’être l’héroïne de Cat’s Eyes avec mon grand écart – un dessin animé pourri mais que j’adorais enfant)… et faut dire que je suis une pive pour rechercher l’itinéraire, si bien que j’emprunte un passage bien plus difficile qu’il n’y paraît, avec un rétablissement bien rock’n’roll. Je galère vraiment, y mets mon genoux, cherche désespérément un bout de caillou auquel m’agripper, et essaie de ne pas penser au but que je me prendrais si je tombais. Je me dis aussi que Guillaume doit bien se marrer en me voyant les fesses en arrière, le genou droit à moitié sur le caillou, à galérer pour trouver une prise. Grand grand moment de glamour. Guillaume me rejoint (comme un chamois, forcément il y avait une ligne toute simple à côté, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !) et repart en tête.
Chaque longueur est bien différente ; on est toujours dans un niveau accessible mais c’est joli, varié et le décor est superbe.
Après un replat, Guillaume repart en tête pour le crux, magnifique diédre à la sortie un peu physique, puis on poursuit sur le fil de l’arête pour arriver au sommet de la Petite Dent. Il y a pas mal de vent, des nuages qui sont bloqués dans la Grande Dent et l’ambiance est hyper belle. Mais, en voyant au loin le chemin de descente, je me dis qu’il ne nous faut pas trop trainer. Il est déjà 14h, et après une bonne pause, nous entamons la descente.
Sauf qu’en fait, la première partie grimpe encore. On la fait en corde tendue, pour gagner du temps. Puis nous arrivons à prendre la vire (encore une !) de la Dent de Morcles. Ça ne rigole pas. C’est vertigineux, le terrain est instable et je ne suis pas du tout à l’aise. Dire que je me plaignais de la descente du Luisin… mais au moins là-bas il y avait les échelles et les chaînes ! Ici rien. J’ai peur qu’au moindre faux pas, je glisse et emporte Guillaume avec moi. Et je suis moyennement fan de l’idée de laisser un petit de 2 ans orphelin à cause de sa mère qui était une saucisse sur les vires exposées. Guillaume est patient et met un friend quand il le peut. Je fais vraiment pas la fière et m’agrippe au moindre caillou quand je peux. Non mais quelle idée franchement ! J’essaie de respirer et de ne pas trop angoisser, mais la peur et le vertige prennent le dessus. Je me fais des films où je me vois partir et dévaler la pente sur des centaines de mètres.
J’essaie tout de même de prendre sur moi, ce serait dommage de finir de nuit ! Petit à petit, la vire devient moins escarpée et nous rejoignons une sente bien marquée. Je suis le balisage et c’est tant mieux car Guillaume aurait continué jusqu’au col de Fénestral. Il y a encore quelques belles petites traversées de moraine comme je les aime, bien scabreuses, mais ça passe, et je commence à avoir l’habitude avec cette journée !
Nous croisons ensuite des chamois, qui nous narguent en gambadant sur la vire et en sautillant sur des rochers. Ils sont impressionnants de fluidité. Ils nous regardent de leur caillou et même si je ne parle pas le chamois, je pense qu’ils se foutent bien de nos tronches en me voyant galérer dans cette descente.
Au bout de 2heures (oui, vous devriez le savoir depuis le temps que je ne suis pas une flèche à la descente), nous arrivons à nos bienaimés vélos, que nous enfourchons, pour regagner la voiture 10 minutes plus tard.
Le mot de la fin ? qu’il me faudrait faire davantage de stages « apprends à marcher sur les vires » auprès des chamois. Que ce coin, tout près de chez nous, est super beau et sauvage. Que cette course n’est pas toute courte mais qu’elle est belle. Et que je suis super reconnaissante d’avoir une vie qui me permet de passer du temps en montagne, avec mon mec (qui lui, a dû être un chamois dans une vie antérieure !)
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