Aiguille de Rochefort (4001m)

Voilà un bout de temps (4 ans très exactement) qu’on remet à l’année suivante l’Eiger par la Mittelegi. Soit il neige la veille, soit ce n’est pas en condition… Bref, cette année ne déroge pas à la règle, puisque la journée du sommet est représentée par MétéoSuisse comme suit : deux gros nuages gris foncés, 4 gouttes de pluie et un gros éclair. Pas optimal pour une course d’arête quoi…

Plan B proposé par Eric : l’Aiguille de Rochefort. J’avais à l’époque doucement souri en songeant à son altitude : 4001 mètres. Juste un 4’000m, sans aller trop haut non plus (pour les féniasses comme moi, le concept est séduisant). Cela dit, – et je ne sais pas si c’est l’âge, la paresse, ou quoi – mais depuis quelques années, Guillaume et moi on est vraiment passé de la « course aux 4000 » à des voies peut-être moins « glorieuses », en tout cas moins renommées, moins hautes aussi, mais tout aussi belles. J’avoue que ces 4’000 méga fréquentés ne me font plus vraiment rêver (non mais la fille blasée !)

Autant j’ai regardé toutes les vidéos possibles et les comptes-rendus de la Mittelegi, autant je n’ai aucune idée de ce qui m’attend avec cette aiguille. Mais Jérome me vend bien le truc, et c’est toute motivée qu’on décide de tenter cette course à la journée, sans se stresser, avec dodo à Torino pour ne pas se mettre la pression de choper la dernière benne.

On met le réveil à 5h (grasse mat !), on retrouve Eric et Jérome à 6h30, et on se rend à Courmayeur. On avait déjà pris la benne magique qui tourne sur elle-même pour aller aux Aiguilles d’Entrèves. Je me réjouis de revoir se panorama assez surréaliste et tout de suite méga alpin à la sortie de la benne.

Mais c’est peine perdue : on arrive dans un bon gros brouillard, et tous les touristes sont déçus et demandent au conducteur de la benne quand les nuages vont partir.

Nous on file, on descend les escaliers et nous retrouvons directement sur le glacier. On met le baudrier, les crampons, la corde, et c’est parti. Il est passé 9h, ça fait tout bizarre de commencer une course pour un 4’000m seulement maintenant (normalement on est plutôt au sommet à cette heure-là !) Enfin bon, on avance gentiment, et le brouillard se dissipe au fur et à mesure qu’on progresse. J’ai beau avoir fait pas mal de courses, je dois avouer que le panorama me scotche tellement c’est beau ! On s’avance droit vers la Dent du Géant, super imposante. On remonte gentiment en enjambant 1-2 crevasses, on voit deux personnes pas encordées, qui s’arrêtent juste devant une méga crevasse. Ah la la. Effarant. Eric, bonne âme, leur dit qu’ils devraient reculer pour s’encorder et pas se mettre si près de la crevasse, mais les 2 touristes font la sourde oreille. Bref. Etonnant qu’il n’y ait pas plus d’accidents en montagne.

On continue, j’ai le souffle court, je sens l’altitude… Au bout de 45 minutes, on arrive vers une partie rocheuse. Je suis pas mécontente de faire une petite pause. J’ai l’impression de ne pas avoir été vite mais Jérome me dit que le rythme est nickel. Bon bah, continuons sur cette lancée. On doit rejoindre en gros l’arête par un éperon, fait de rochers assez instables. Mais ça avance assez efficacement. On voit déjà les bouchons sur la montée de la Dent du Géant – une vraie autoroute entremêlée de cordes fixes… vu d’ici ça fait tout de suite moins rêver !

On croise aussi quelques cordées qui redescendent, et un couple pas encordé… Ah la joie des sommets populaires…

Je respire toujours assez fort, mais je m’étonne moi-même de mon rythme. Faut dire que contrairement aux courses sur 2 jours, j’ai eu une vraie nuit de sommeil la vielle, dans mon lit, et je crois que ça me réussit mieux que les nuits blanches en cabane. Je suis vraiment bien, super contente de faire cette course les 4, heureuse de me retrouver par là et me réjouis de la suite (bon… moins de la nuit en cabane hein mais bon… on ne peut pas gagner sur tous les plans !)

On chemine à corde courte la plupart du temps et on arrive sur le replat (je crois qu’il s’appelle la Salle à manger), où l’on croise ceux qui redescendent en rappel de la Dent du Géant. De là, on peut apercevoir l’arête qui nous mènera au sommet de l’Aiguille de Rochefort.

Moi, la seule arête de neige que j’ai faite, c’était celle du Mönch et j’avais balisé des semaines avant. L’équilibre n’est pas mon fort, j’ai le vertige (si si. L’arnaque, je vous jure !), je vois cette magnifique arête méga effilée… On va vraiment aller dessus ?

Allez, tout s’est bien passé jusqu’à présent, continuons sans trop nous poser de question.

Jérome et Guillaume débutent les festivités et ouvrent la voie. Ça commence par une petite descente avec un peu de glace qui remet tout de suite les idées en place. Je me rends compte que ça fait un lustre que je ne suis pas retournée sur ce genre de terrain et je ne fais pas la fière. Eric me rassure, la suite sera en top condition. Bon ok, pensée positive, faire confiance à ses pieds, tout ça… Je le suis. L’arête est magnifique. Je prends des photos quand je suis assez stable, c’est clairement l’un des plus beaux panoramas qu’il m’a été donné de voir. Si tous ces débiles d’instagrameurs (dont je fais partie hein…) avaient moins le vertige et n’avaient pas leur drône, sûre que cette arête serait plus photographiée que les Lofoten ou le Cervin ! (bon chut, faut pas leur dire, c’est bien de garder des coins sauvages aussi !Qu’ils aillent aux îles Feroe.

C’est vraiment majusteux, super effilé. J’essaie de ne pas regarder en bas, et de rester concentrée sur mes pieds. Je suis souvent devant, dans les descentes, et le reste de l’arête alterne montées et replats. On traverse aussi parfois de petites portions de rochers, ce qui me permet de respirer un bon coup et de me détendre (ou de me donner l’illusion de…).

La dernière partie pour aller au sommet est constituée de rochers. On enlève les crampons, les portions grimpent un peu plus. Le vent est maintenant assez soutenu, il fait super froid. J’ai le symdrome « j’arrive plus à prononcer les consonnes », je mets ma gore-tex, mon capuchon, je m’emmitoufle aussi bien que possible. Je garde le rythme et ce que je trouvais être un énorme blocs de cailloux à escalader se révèle être 2 petites longueurs faciles. Et comme par magie nous arrivons au sommet !

C’est vraiment un bonheur d’être là-haut avec ces 3 types. On s’embrasse et se félicite, on regarde l’arête parcourue, on pense à ceux qui font la traversée des Grandes Jorasses et qui passent par là… sacrée course ! Mais on ne s’éternise pas car c’est bientôt les voyelles que je ne pourrai plus prononcer. Et moi qui trouvais saugrenue l’idée de faire un thermos en plein mois d’août ! Je suis bien contente de pouvoir me réchauffer un peu avec du thé. (contrairement aux glaciers qui fondent inexorablement… )

J’appréhende le retour, qui passe par le même itinéraire. J’ai dû être super concentrée pour l’aller, il faudra faire de même pour le retour. Eric me mouline jusqu’à la neige, d’où nous remettons les crampons. Je vais devant. Je respire un bon coup, regarde Jérome et Guillaume s’élancer, et j’y vais. Je me concentre vraiment sur chaque pas. Car je sais que le faux pas est interdit. Clairement. C’est vraiment une course super engagée, et je me surprends à me dire que c’est bien d’avoir fait cette course avec 2 guides, si l’un d’entre nous meurt, notre fils ne sera pas orphelin (Ah… Elise l’optimiste…)

L’arête est vraiment étroite, mais les traces de pas sont bonnes et la neige top. Je garde mon piolet dans ma main, mais c’est plus pour me rassurer psychologiquement, parce qu’il n’y a pas de place pour le planter…. Et moi qui osais dire que le Mönch c’était effilé ! Pour me rassurer, je me dis que ces traces sont larges, et qu’avec les marques des crampons, on dirait des raquettes. Allez. Ça doit passer en raquettes 😉 (qu’est-ce que je peux avoir des idées à la con quand je stresse !). On a de la chance : en plus des conditions qui sont top, on ne croise aucune cordée (juste une à l’aller, dans la partie rocheuse finale) et c’est tant mieux parce que ce serait clairement impossible, à moins d’être unijambiste. En plus, on a une vue grandiose sur la Dent du Géant. C’est presque indécent comme c’est sublime.

Il y a une remontée, Eric passe devant, et mon pied s’enfonce dans une trace. Je suis quitte pour une bonne frayeur. L’espace d’une mini-seconde, tout mon corps s’est figé et mon cœur bat la chamade. Ah la la mais quel sport à la con. Franchement. Non mais quelle idée.

Je me resaisis, grâce à Eric et sa bienveillance, et repars. On arrive à nouveau à la salle à manger, je suis vraiment contente du chemin parcouru. Et je crois même qu’on arrivera à choper la benne 😉

On en profite pour ramasser deux cannettes planquées sous des pierres, 1 mégot et une boîte de sardine. Et je me dis décidément qu’il y a de bons gros blaireaux partout, et que la montagne ne déroge pas à la règle… C’est quand même pas compliqué de ramener ses déchets non ?

On a vraiment réussi à garder le timing, et pas question de l’exploser à la descente. Je suis en forme, et j’y vais. Faut dire qu’avec toutes les courses faites cet été, je commence à m’améliorer dans les descentes. Pour chercher l’itinéraire, coiffer les béquets… y a pas à dire, c’est en faisant qu’on apprend ! On dépasse même une cordée, le truc improbable quoi ! Et comble du truc : je suis Guillaume et Jérome. Je dois même m’arrêter parfois. C’est fou. Je m’améliore 😉

Du bas de l’éperon, on double encore quelques cordées (je dis ça l’air de rien, mais c’est un vrai bonheur de ne pas être à la rue pour une fois !), on rechausse les crampons et on remonte vers Torino. Je sais désormais qu’on aura clairemnent tenu l’horaire et que nous pourrons redescendre avec la benne. La vision d’une nuit dans un vrai lit, pas dans une cabane, finit de me booster. Nous arrivons vers 16h à la benne, un regard vers la course que nous venons de faire, et nous filons vers la voiture.

Ça fait tout bizarre une course sans paumer du matériel, sans coincer la corde, sans souffrir à la descente, sans me plaindre à la montée. Je sais pas si je deviens moins mauvaise, ou alors si je suis plus indulgente, en tout cas, je suis super heureuse d’avoir pu faire cette course dans de si belles conditions. Dire que le matin même je mangeais ma tartine dans ma cuisine, et que quelques heures plus tard j’étais propulsée à 400…1 mètres ! C’est une sacrée chance d’habiter dans notre région, d’être près de ces Alpes, et de pouvoir partager ça avec ceux qu’on aime. Avec ou sans consonnes, certes, mais avec une joie infinie. (bon maintenant qui peut aller négocier pour que le bar en bas de la benne propose du Rivella, hein ? Non mais franchement. Des choses pareilles.)

Leave a comment