Aiguilles marbrées
Un printemps difficile, de bonnes remises en question, une petite santé, une forme physique aussi au bonne que mes compétences en russe ou en lancer de marteau…
Bref c’est dans une toute petite forme et un balbutiement que je propose à Guillaume une sortie en montagne. Mais un truc à la journée. Et pas trop dur (non parce que déjà 20 marches d’escaliers à monter et je suis fatiguée…). Et comme je suis dans ma bonne résolution « s’écouter, prendre du plaisir » (et : arrêter de manger autant de chips, de plisser le front quand je lis, de lever les yeux au ciel quand un truc m’exaspère et de jurer comme un charretier devant mon fiston…), je challenge Guillaume pour qu’on trouve une petite course fastoche et sympa.
Comme l’été est un concept relativement abstrait en ce mois de juin et qu’il y a plus de neige en montagne qu’un mois de février, on hésite à aller en altitude… Mais j’avais adoré aller du côté du massif du Mont-Blanc, notamment avec les Aiguilles d’Entrèves ou l’arête de Rochefort. Et la Traversée des Aiguilles marbrées semble en condition, me souffle-t-on sur instagram. Je téléphone donc au refuge Torino pour m’assurer qu’on ne doit pas faire l’approche avec de la neige jusqu’au hanches (pour Guillaume / au cou pour moi), et on me sort un « maaa oui, pas de problèmè » (mon dieu que j’aime cet accent.)
On décide donc un peu à la dernière minute d’y aller et de profiter de la seule journée ensoleillée que ce mois de juin pourri semble nous offrir.
Ça commence par une traversée du Tunnel du Mont-Blanc, qui nous coûte un bras, puis par une remontée en funiculaire, qui nous coûte cette fois-ci 2 reins. On est empaquetés, et même si j’apprécie le fait de ne pas me taper cette montée à pied, j’avoue avoir de la peine avec la promiscuité / les piolets qui m’arrivent dans la gueule / les discussions misogynes du type d’à côté / et j’en passe.
Tous ces alpinistes… ça me fait peur, et j’espère qu’on ne sera pas en file indienne sur cette arête réputée facile et courte, idéale pour une initiation.
On s’encorde et on file vers la Dent du Géant. C’est tellement beau là-bas. On a l’impression d’être en Patagonie, tout est super plâtré, pur, le ciel est bleu, les couleurs vives, c’est vraiment la grande classe. Pour couronner le tout, l’approche est courte et ne monte que peu (manque qu’un petit hotspot et un bar à Rivella. Sinon c’est nickel).
On aperçoit déjà des cordées dans le rappel et sur l’arête. C’est clair, on ne sera pas les seuls. On souhaitait faire l’intégrale (la grande majorité des cordées redescend avant, en rappel), mais ça ne semble pas tracé. On fait une réserve de corde et avant de débuter, je jette un coup d’oeil en arrière; des cordées avancent sur le glacier, semblables à de petites fourmis qui déambulent sur les traces laissées par d’autres alpinistes. Les nuages apparaissent, l’ambiance est de toute beauté.
On débute la course; après quelques mètres, il y a un passage à grimper. Je laisse Guillaume grimper en tête, et je suis pas très à l’aise quand vient mon tour. J’ai toujours l’impression que ces foutus crampons ne tiendront pas sur le rocher, et j’ai beau me dire « mais non ça tient », mon cerveau ne percute pas. Bref c’est d’une agilité toute relative que j’arrive à la hauteur de Guillaume.
Tout est méga plâtré, on a l’impression d’être au Cero Torre, en pleine Patagonie, ou au Ben Nevis. Non. On est juste à 2h de la maison. c’est vraiment fou comme ambiance. Je fais des photos toutes les 2 minutes et je me méprise un peu, mais c’est tellement beau.
La suite vers le sommet N est toute facile ; ça s’apparente plus à de la marche qu’à de la grimpe, mais l’ambiance est belle et on avance aisément : les autres cordées sont plus loin.
Il s’agit principalement de déambuler entre de gros rochers tout plâtrés; l’itinéraire est évident et la météo plutôt clémente. Quelle chance! Le sommet N se dresse devant nous, on croise des cordées qui en redescendent. On y est rapidement.
On arrive au sommet, rejoints par un guide de Chamonix et sa cliente anglaise bien sympa.Je passe devant pour la descente du sommet vers les rappels; il y a de jolies arêtes en neige et c’est là encore (trop ?) facile, la neige relativement molle qui accueille mes petits pieds et les grandes paluches de Guillaume. Même si techniquement il n’y a rien de dur, j’apprécie le panorama. Et c’est agréable aussi de ne pas être au taquet durant toute une course, de sentir qu’on a une méga marge et qu’on est là juste pour le plaisir, pas pour se vanter des dénivelés ou des difficultés techniques par la suite. Mais juste parce que c’est beau d’être ici.
On rejoint bientôt deux cordées, le type devant moi a une frousse bleue du vide, il tremble et j’essaie de le rassurer comme je peux. On souhaitait faire l’intégrale et continuer plus loin, mais ce n’est pas tracé et les parois, si elles ont l’air sympa niveau grimpe, sont bien plâtrées… Si je m’entrainais pour le Ben Nevis et que j’avais un super niveau, je tenterais, mais là, on préfère opter pour la sagesse et s’arrêter là où tout le monde s’arrête.
On arrive aux rappels, et là c’est la foire à la saucisse niveau attente. Ça bouchonne grave. Et le vent se lève. 8 ( !) personnes sont devant nous, certaines n’ont jamais fait de rappels et ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps.
Derrière nous, le guide français très chouette qui nous fait la causette, deux autres cordées et encore quelques groupes qui arrivent. Si le sommet était plus grand, je mettrais une baraque à frites, avec tout ce monde ce serait rentable. Un type du dernier groupe, un formateur, pas encordé ( !) nous dépasse et vient regarder le rappel.
Il décide de tous nous dépasser sans nous prévenir car il y un relai plus loin. Il enjambe donc le pauvre type qui tremblait et fait son premier rappel de sa vie, va se vacher plus loin, à l’autre relai, et gueule sur son groupe pour qu’on le rejoigne.
Ça gueule un peu derrière, façon « hey j’étais là avant » (on dirait moi à la boulangerie quand une vieille me passe devant), le formateur se croit le roi du monde le regarde avec dédain « on prend l’autre relai » (sous-titre : on prend l’autre relai gros con et si t’es pas content c’est le même prix ). Les aspirants et leurs clients nous dépassent, tout désolés qu’ils sont. Manque plus que les pop-corns, en tout cas ça nous fait l’animation, à Guillaume et à moi.
C’est sans s’exciter qu’on fait le rappel et qu’on repart pour le refuge Torino ; toute petite marche de retour qui nous permet d’admirer quelques belles crevasses, et 2 types pas encordés sur le glacier, près des crevasses, et qui se prennent en selfie. Ouais ouais ouais. Il est temps de rentrer. Un dernier coup d’œil à cette belle dent du Géant, et on finit cette journée comme il se doit: avec une bonne pizza à Courmayeur. Une bien belle journée là-haut, pour fêter nos 6 ans de mariage. Pour deux personnes qui n’en foutaient pas une avant de se rencontrer, n’avaient jamais foutu les pieds en montagne et étaient fondamentalement anti-mariage… On s’en sort plutôt bien! La vie est étonnante, pleine de surprises, de beautés, de blessures aussi, mais elle nous fait avancer. Encore plus vite en montagne. Indéniablement.
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