Aiguilles du Van – Acqua Concert
L’été a filé à toute allure, et pour ce dernier jour du mois d’août, Guillaume me propose les Aiguilles du Van, du côté d’Emosson, tout près des Perrons et de la Veudale, parcourus il y a quelques années !
J’aime bien ce coin; on se croirait dans un fjord en Norvège, avec l’eau turquoise du lac et les falaises abruptes. J’ai d’ailleurs tout loisir de contempler le paysage lors de l’heure d’approche, à travers les rhododendrons et les myrtillers. Il y a 4 personnes devant nous, on ne sait pas si elles se dirigent vers les Perrons ou vers la voie qu’on convoite…
L’approche n’est pas trop longue (je sais pas ce qui me prend de dire un truc comme ça, je ne me reconnais plus), mais je suis quand même bien trempée quand on arrive au pied de la voie. Il y a deux femmes qui s’encordent, c’est l’occasion pour nous de faire une bonne pause et de les laisser passer.
Acqua Concert, c’est une voie de 11 longueurs (ah ouais quand même) dans le 5, avec 2 6a (heu…) et un équipement “montagne” (donc ne pas s’attendre à avoir des spits tous les mètres). Cette voie est sur notre liste depuis un bon bout de temps, mais je suis une quiche en grimpe et j’ai des doutes sur mes capacités à tenir le rythme sur des longueurs qui grimpent sur plus de 300m de dénivelés.
La traversée sur dalle (et le début des emmerdes)
Les Tchèques atteignent le premier relais, la voie débute par un 5c à l’ombre. Il y a un petit vent et on n’a pas chaud… Bon ben je sens que la mise en jambe va être sympa… Guillaume rejoint rapidement le relais et je me lance. Le début est assez facile, même si le rocher est froid. J’ai repéré que le relais s’atteint via une petite traversée sur dalle, qui, vu d’en bas, a l’air peu commode. Hé bien, arrivée à hauteur de la traversée, je comprends que je vais galérer. Il n’y a que 2 mètres pour rejoindre Guillaume, mais la dalle est inclinée et il n’y a pas beaucoup de prises pour les mains (2 réglettes, on peut pas vraiment dire que ça compte). Je fais ma Elise, j’hésite, je tapote mes pieds, je reviens sur mes pas, j’arrête pas de dire “j’ose pas”, je m’imagine tomber et penduler, j’ai encore plus peur, Guillaume commence à être exaspéré. Mes jambes tremblent, on dirait qu’il y a un petit marteau piqueur sous mon mollet. Non mais des choses pareilles. Sur un malentendu je le rejoins, tremblante et haletante. Guillaume me lance son regard noir et me dit qu’il est préférable de descendre en rappel, que la suite sera difficile et que si je galère là…. (ah. le renforcement positif. Les encouragements. Tout ça. La force de notre couple).
Moi honnêtement je doute à mort, mais je me dis que ce serait trop con de ne pas essayer. J’essaie de me rassurer en me disant que c’était la première longueur, que je galère toujours à la première longueur, que je déteste les traversées, et que la suite sera dans l’axe, et que merde à la fin, j’ai fait plein de courses alpines où je me suis surpassée cet été, alors il n’y a pas de raison que je me prenne un but aujourd’hui.
Crux en vue (et tirages de dégaines!)
On continue. Et on sera vite fixé parce que les 2 longueurs suivantes sont en 6a. La Tchèque galère d’ailleurs passablement, et j’entends les complaintes de celle qui la suit… Ah bah je sens qu’on va s’amuser. Guillaume s’élance dans la deuxième longueur, je ne vois que le début de cette longueur et ça n’a pas l’air simple du tout, même si Guillaume donne l’impression de grimper dans du 4 tant il est fluide. Il me dit qu’il a froid et ne sent pas trop ses mains, pfffff mais dans quoi je me suis embarquée moi! Quelle idée de faire une course TD. Je pourrais manger une tarte aux abricots au barrage à l’heure qu’il est.
Mon tour vient, j’essaie de ne pas trop me poser de question. L’équipement est spartiate (et donc il n’y a pas de dégaine à tirer à chaque mètre, pour mon plus grand désarroi), on longe une sorte de paroi et c’est assez vertical. Certains mouvements sont physiques, c’est franchement pas un moment d’aisance et d’élégance mais j’arrive au relais sans avoir trop gueulé. Ce qui est en soi un miracle à apprécier à sa juste valeur.
Je me dis que si j’ai passé le premier 6a, il n’y a pas de raison que le second ne passe pas. Guillaume essaie de me rassurer en me disant qu’il est moins physique. Il s’élance et je vois rapidement où se situera le crux. Les difficultés sont concentrées sur une dizaine de mètres, sur un mur dalleux et peu prisu…. D’ailleurs, quand j’arrive à la difficulté, je vois un maillon rapide juste en-dessous et je comprends bien pourquoi! Faut avoir une bonne marge pour faire cette longueur en tête… Moi, pour changer, je galère bien. J’ai l’impression que chaque partie de mon corps est lestée, j’ai les jambes engourdies des efforts d’avant, je ne sens plus mes doigts à cause du froid, et même en second, je ne fais pas la fière. Je mets un peu de temps à comprendre comment passer le crux – et franchement je ne sais même pas si j’ai compris comment le passer, mais faut croire que oui parce que y a même pas moyen de tricher en tirant sur une dégaine. Non mais des choses pareilles.
Je rejoins Guillaume, j’ai l’impression d’avoir fait l’UTMB, j’ai les muscles brûlants et ma respiration est proche de l’hyperventilation.
La vache, on n’est qu’à la troisième longueur, mais comment je vais réussir à m’en enquiller 8 de plus?
Guillaume tente de me motiver en me disant que la suite est plus facile. Effectivement, la suivante déroule un peu plus, mais ça grimpe quand même tout du long, sauf sur une petite transition herbeuse, à plat, où je tente veinement de reprendre mon souffle et de dégourdir mes bras. On a enfin rejoint le soleil, mais il ne nous accompagnera que sporadiquement sur cette voie qui passe rapidement à l’ombre à cette période de l’année.
J’ai lu partout que la 5e longueur est majeure. C’est un 5c et ça a l’air aussi raide que long. Guillaume enchaîne ça évidemment sans souci et me dit “tu regardes bien par où je passe hein”. Effectivement, j’essaie de mémoriser le trajet car l’itinéraire n’est jamais totalement évident, faut parfois slalomer vu l’équipement spartiate. Cette longueur de 40 mètres est absolument superbe, mais très soutenue. Il y a un premier petit ressaut à passer, puis un dièdre magnifique mais vraiment raide, je préfère ne pas regarder sous mes pieds… Mes pieds, qui, d’ailleurs, commencent à se languir de chaussures confortables et de plats reposants. Les adhérences, ça va un moment.
On arrive à la sixième longueur, qui débute par une petite traversée-mais-mon-dieu-j’aime-pas-les-traversées ! Je tire sur la dégaine, du coup je bloque sur la suite (ça m’apprendra à tirer sur les dégaines, me direz-vous…) j’hésite même à la laisser en plan mais je me dis que ça pourrait être un motif de divorce alors je trouve une prise main gauche et j’arrive à la décliper, après 1 ou 2 gueulées qui résonnent à mort. Je pense que tous les gens sur le barrage m’entendent. A moi la gloire éphémère. (en même temps, si on gueule pas dans une voie qui comporte le nom « Concert », hein…!)
On reste dans du 5B pour cette longueur et la suivante, et même si c’est “plus facile”, je commence vraiment à être dans le dur (en vrai je le suis depuis le début), heureusement que le lac d’Emosson est là pour me changer les idées. Y a même un gypaète qui nous survole, c’es surréaliste comme c’est beau.
Les via ferrata, c’est pour les autres
La huitième longueur est bien raide elle aussi, en 5c, je me surprends à avoir encore des muscles pour la grimper, même si je me fais prendre en flagrant délit de tirage de dégaine. Je passe la suite en m’appliquant parce que comme me dit Guillaume, je suis pas venue ici pour faire de la via ferrata (Guillaume, faut lui laisser ça, c’est le roi des punchlines!). Malgré les longueurs qui sont toutes longues, le rocher est vraiment d’une belle qualité. La classe.
Je le rejoins après la 9e longueur en 5b, il a déjà enlevé ses chaussons, moi je suis trop démontée pour mettre mes grosses alors je poursuis en chaussons jusqu’au sommet avec deux longueurs faciles dans le 3. Amen.
Après 4h de grimpe, je suis heureuse d’être au sommet des Aiguilles du Van avec Guillaume. Je n’aurais pas misé sur ce dénouement quand j’étais sur mes petites dalles dans la première longueur !
On ne s’attarde pas vraiment, on reste encordés pour la descente jusqu’à la brèche, qui, contrairement à ce que je m’imaginais, est relativement facile. On garde la corde ensuite quand on rejoint le chemin d’approche qui va aux Perrons, on dépasse les Tchèques et, cerise sur le gâteau, on voit tout un groupe de bouquetins qui prend la pause. Avec des bébés bouquetins. Rien que pour ça, ça valait la peine de me pousser dans mes retranchements.
Car honnêtement, je ne pense pas que j’avais le niveau ou l’entraînement suffisant pour faire cette course, qui est longue, continue, et équipée “montagne”. Mais je l’ai faite, grâce à mon grand barbu qui a tout fait en tête, qui a supporté mes hésitations et mes râlements.
Malgré mes doutes et le fait que j’étais franchement limite, j’y suis arrivée, et quand je regarde cette saison et tous les projets qu’on a pu mener à bien, je me dis que le mental et le physique sont tout de même là. Des fois un peu plus que d’autres, mais ils sont là. Avec Guillaume. A me faire gravir les sommets et à me faire surpasser mes peurs.
Infos et topo
Cotations
TD- 6a>5c II P1+ E3
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