Arête des Salaires

Après une petite mise en jambes la semaine précédente dans les Alpes vaudoises, Guillaume me propose une nouvelle traversée d’arête dont je n’ai jamais entendu parler : l’arête des Salaires, du côté de l’Etivaz. Je suis surprise, à la vue du topo, de constater que 1/ ça a l’air super beau – on a de si belles arêtes dans notre canton? et 2 / il n’y a qu’une seule sortie sur camptocamp.

Y aurait-il une arnaque quelque-part? Bon bah moi ça me dit bien, d’une part j’adore l’Etivaz (le fromage), et les arêtes, et la météo s’annonce belle et sans enfant jusqu’à 19h… donc GO!

Au Plan de la Douve (amateurs de bivouac : c’est un sup spot)

On démarre l’approche vers 9h20; c’est un sentier à l’ombre, dans la forêt, qui monte régulièrement et efficacement. Bon, 950m pour une approche, en début de saison, c’est déjà un défi en soi pour moi, mais étonnamment, ça va plutôt bien et je rejoins Guillaume au Plan de la Douve; c’est vraiment beau, le panorama s’offre à nous et je ne suis pas mécontente de faire une petite pause et de m’envoyer un Rivella après 2h de montée. 

Le début de la course, qui part sur la droit

Je me dis naïvement que le plus pénible est fait. C’est chou. On s’encorde, et on rejoint par une pente herbeuse puis une arête le sommet de la Douvette. De là, le panorama est exceptionnel, ça me fait penser aux Gastlosen (normal, c’est la suite..) mais je décompense en voyant la fin de l’arête qui semble être dans une autre galaxie tellement c’est loin… Et si d’en-bas l’arête ne paie pas de mine, ici c’est une toute autre réalité, avec des pics esthétiques et des passages effilés… 

Dans les premières difficultés pour rejoindre la Douvette

Je ne suis pas à l’aise avec mes grosses chaussures et je n’ai plus l’habitude d’être sur un terrain si vertigineux…. quand je regarde sous mes pieds il y a du gaz et évidemment quasi pas d’équipement sur cette arête, donc dès le départ j’ai des sueurs froides. 

ça se corse…

Après la douve, il faut désescalader – ce sera d’ailleurs l’occupation principale de cette course – de la désescalade sur terrain péteux et expo… Si jusque là j’ai réussi à garder mon calme, la brèche suivante nous mène à “l’enjambée”, mouvement parfait pour toute personne souhaitant perdre 10 ans de sa vie. Selon le topo, c’est plus impressionnant que difficile, et Guillaume, avec ses jambes de 8m, passe sans souci, et même avec le sourire.

« L’enjambée », un jeu d’enfant pour Guillaume et ses 8 mètres de jambes

Pour moi c’est évidemment une autre paire de manche. Clairement dans les catégories “mannequin aux jambes infinies” ou “grimpeuse solide”, je suis aux abonnées absentes, et la simple idée de devoir enjamber le vide et me rétablir sur un rocher – concédons-le – foireux, ne me réjouit pas, mais alors pas du tout. Sur les conseils de Guillaume, je “descends” un peu mes pieds sur le caillou lisse, en adhérence, avec le vide sous mes pieds (vous visualisez l’angoisse?) et je tends ma jambe, qui me paraît faire 6 centimètres, pour péniblement toucher l’autre côté de la brèche… faut ensuite basculer le bassin et venir choper l’autre côté avec les mains. Et remonter à la hauteur de Guillaume. En le rejoignant, je tremble de tout mon corps, et cette vilaine sensation sera ma compagne de route pour toute la suite (et interminable) traversée. 

« l’enjambée » version hardcore pour moi

Vu qu’on est sur les réseaux sociaux et son fabuleux monde virtuel, je pourrais vous bullshiter avec de jolies photos (car oui le coin est magique), vous dire que c’était super, que j’en ai bavé mais que j’ai adoré, tout ça quoi. Alors soyons honnêtes: je ne sais pas ce qui était le plus pourri dans l’histoire, mon humeur, mon aisance (inexistante) ou le rocher, mais on avait tous un sacré niveau….

« mais oui c’est de la rando » me dit Guillaume. Ouais ouais.

J’ai eu peur tout du long. A trembler de partout, sans pouvoir passer par dessus ce sale sentiment. Ça m’a privé de trouver ça beau, prendre du plaisir. J’ai eu peur, je me suis fait des films, et cette traversée a été un long chemin de croix, où un gamin de 5 ans aurait mieux géré les désescalades que moi. 

Une petite traversée où je vous laisse apprécier le joli coup de soleil sur mes bras

Parce que comme toute bonne traversée qui se respecte, l’arête des Salaires est loooooongue, mais looooooongue… et péteuse, à un point… Ah ben je comprends mieux pourquoi si peu de gens la parcourent!

Là, c’est au début, j’ai encore le sourire…
… On doit aller tout là-bas (oui, c’est si loin qu’on dirait une autre galaxie)

Oui c’est beau, mais alors dans le côté “testons chaque prise”, on a que le prénom, et c’est un sacré bon apprentissage. J’ai arrêté de compter le nombre de méga blocs qui filaient sous mes pieds (bye bye, oh comme il dévale loin et vite, oh comme c’est raide) ou qui restaient dans mes mains… 

Petite désescalade raide et grailleuse… tout ce que j’aime…

Ça m’a clairement déstabilisée, et j’avais l’impression d’avancer en terrain miné. Alors clairement, c’était un jour sans, parce que j’ai eu été dans des terrains plus expo, plus grimpants… mais là…. pfff la galère…

Su le fil de l’arête… (et non, le sommet suivant c’est pas du tout la fin de la course…)

Evidemment, je me plains, évidemment, ça saoule Guillaume, qui continue bravement la traversée. Parce que oui, c’est encore long, et qu’on a un enfant à aller chercher…

Alos que revoilà une désescalade. GET. ME. OUT. OF. HERE.

Il y a peu de montées (ou alors elles se composent de pentes heureuses/foireuses) et beaucoup de désescalades, et dans ce terrain, je galère et perds un temps fou. 

Heureusement, c’est juste super beau, sinon je me serais déjà ouvert les veines

Il y a, jusqu’au Biolet, 3 rappels à effectuer. Ils sont assez raides, et pour le premier, je ne vois pas le spit ni la cordelette sous le rocher et me mets du mauvais côté (Etivaz), sur un bloc qui évidemment dégringole plus bas…. Ah la la… ça commence à bien faire cette histoire !

Mon aisance à toute épreuve dans les rappels…

Guillaume me rejoint, la section suivante est grimpante, il y a même des spits et on peut tirer au clou, autant vous dire que vu mon niveau pathétique je ne m’en prive pas… Et le sommet me paraît de plus en plus loin… J’ai le secret espoir que ça va vite aller, mais non. C’est découpé, ciselé, ça monte, ça désescalade, il y a des passages méga péteux et grailleux, mais dans quelle histoire je me suis embarquée moi!

L’impression d’être une unijambiste même sur les passages à plat

Je fais ma Elise, je râle, je me plains, et je tends Guillaume. J’arrête pas de lui demander si c’est encore loin, et surtout quand est-ce qu’on arrive à ce maudit sommet. De temps à autre j’essaie de prendre sur moi, de me dire que j’ai de la chance d’être là, que merde quoi, faut se bouger un peu et ça va tourner…

« c’est encore loin Gand Schtroumpf? Oui très loin »

Mais je continue à trembler et à tout voir en noir. Sortez-moi d’ici bordel de merde, appelez la Réga, filez-moi un parapente, je sais pas moi…. 

Et il y a la pression de l’horaire, je sais qu’on est déjà en train de l’exploser…. C’est résignée que je fais la dernière partie jusqu’au point 2260, sous le sommet. La dernière partie est plus facile, moins expo, et elle est silencieuse… Guillaume est saoulé et moi, je prends sur moi pour avancer. Clairement, la notion de partage et d’amour de la montagne est ici toute relative 😉

Mais ce silence me fait du bien, c’est un peu mon purgatoire, j’avance, je me parle, je me bouge le cul autant que se peut pour limiter l’explosage d’horaire, et j’apprécie presque ce décors, ces lumières de fin de journée, et ces passages moins engagés. 

De l’herbe. Du plat. Amen.

On arrive à un replat verdoyant avant d’attaquer la dernière partie, quel bonheur de ne pas se mettre au taquet et de pouvoir boire un coup et respirer un peu.

Les derniers mètres de l’arête …

Après 6h sur l’arête (selon le topo c’est 4 à 5h..) on arrive enfin sous le sommet principal. Je suis l’ombre de moi-même et on doit encore redescendre et aller chercher le fiston; on décide de ne pas faire le 20 derniers mètres et de gagner quelques précieuses minutes sur la descente. 

On était tout là-bas… On dirait pas comme ça, mais ça fait une bonne bambée !

On reste encordés pour redescendre “dru dans l’pentu” vers l’alpage, dans des pentes herbeuses et de la caillasse qui ne nous changent pas vraiment du reste de la traversée. Il y a des fleurs partout, la lumière qui s’adoucit, les chants des oiseaux qui nous accompagnent et me redonnent un peu de moral.

Descente bucolique, avec vue sur la traversée réalisée

La dernière partie sur le sentier se fait à la course, et on arrive enfin à la voiture, après 10h de montagne, une bonne dose de peurs et de démotivation.

J’ai vraiment hésité à faire un récit sur cette course. Parce que clairement, ça ne vend pas du rêve. Et que ça donne une bonne gifle sur mes ambitions et mes projets.

Mais à l’heure du paraître et du bullshit incessant, des courses à la performance et des jolies photos, il me semble important de partager avec vous aussi des courses moins glorieuses. Parce que rien est acquis, et parce que la montagne ne dit jamais son dernier mot. 

Merci Guillaume, désolée d’être aussi chiante, c’était peut-être un peu trop ambitieux pour une course de début de saison… Mais promis, je vais me bouger et m’entrainer à être moins mauvaise dans les désescalades. 

Infos et topo

Cotation: AD 4c II P2+

Topo : https://www.camptocamp.org/routes/1058094/fr/le-biolet-arete-des-salaires-du-plan-de-la-douve-au-biolet

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