Dent de Tsalion – arête W
Par un beau jour d’été il y a quelques années, sur une terrasse à Arolla, Guillaume me montre l’aiguille de la Tsa et me dit qu’on pourrait y aller une fois. Je dis « mmh uh, pourquoi pas », en savourant ma tarte aux abricots et en me disant que c’est quand même l’une des meilleures inventions du monde (oui bon ok: cette aiguille est jolie, c’est vrai, mais voilà quoi. Je préfère la tarte aux abricots.)
Nous avançons sur ce projet de traversée de l’arête ouest de la Dent de Tsalion pour enchaîner idéalement sur l’aiguille de la Tsa. Cette course, que nous avons dû annuler par deux fois l’année passée, est donc prévue mercredi et jeudi. L’idée de la nuit en cabane ne m’enchante pas particulièrement, « cabanophone » que je suis, mais je sais aussi que la course sera longue et si on peut la couper en 2, même avec une nuit pourrie, c’est déjà ça de pris.
Nous parquons à Arolla, il fait passer 27 degrés, et nous entamons la montée vers la cabane. Le panneau indique 2h… sauf qu’on est tellement mauvais qu’on arrive à louper l’intersection et à continuer sur la route, pour s’apercevoir, après 20 minutes de marche, qu’on est complètement faux. On commence donc très fort ces 2 jours en montagne. Moi qui flippe comme une saucisse pour la descente de Tsalion, je me dis que si on arrive à se planter pour le chemin de la cabane, on est bien parti ! On redescend donc notre route, je suis déjà aussi trempée que si j’avais fait de la plongée. En plus nos sacs sont bien chargés ; on a pris crampons et piolet, et je me mets à maudire les montées en cabane. Déjà qu’avec des températures normales c’est toujours trop long, là sous le soleil de plomb… J’en viens à rêver de cascades de glace, de piscine fraîche, de Rivella avec glaçons. Heureusement la première partie de la montée se passe à travers la forêt et est entrecoupée de ruisseaux. On gagne peu à peu l’altitude et l’air frais de la montagne nous fait du bien. On arrive à la cabane de la Tsa à 18h30 ; on est chaleureusement accueilli par la gardienne et son aide. On apprend qu’on sera les seuls ce soir, quelle classe ! On peut même choisir le dortoir. Le repas est super bon, végétarien, et se termine par une petite crêpe au sirop d’érable. Ya pas à dire, mais les cabanes avec un bon accueil et un bon repas, ça change la vie (d’ailleurs, on devrait éditer un guide sur les meilleurs repas de cabanes !)
On se couche à 21h, après avoir profité d’un beau coucher de soleil, après avoir admiré la course qui s’offre à nous pour demain (ça c’est pour Guillaume. Pour moi c’est: après avoir angoissé sur la course qui nous attend demain). J’ai pris une pastille pour dormir, et forcément, j’ai besoin de faire pipi. Comme toujours en cabane. Et comme toujours, j’essaie de m’auto-persuader que non ; ça va aller, je vais m’endormir. Evidemment que non. Donc 1h30 après m’être retournée dans tous les sens, je me lève, me rhabille, prends la frontale, ouvre la porte, vais jusqu’aux toilettes qui sont bien 15m plus bas que la cabane ; c’est super pratique sans mes lentilles et de nuit… Une expédition en soit ! Je reviens me coucher et m’endors. Ce qui est un exploit quand on me connaît. 5h de dodo, non stop, record personnel de dodo en cabane pulvérisé. Moi je dis : vive les cabanes privatisées.
On se lève à 4h30, et Guillaume qui revient des WC me dit « c’est mort. Il a plu, c’est trempé dehors ». Merde alors. Que faire ? Retourner se recoucher (j’avoue qu’à 4h30… je suis pas complètement contre…). Dans un sursaut d’optimisme, je propose d’aller au pied de l’arête et de décider à ce moment-là. En temps normal il faut 1h pour se rendre au début de l’arête, mais les gros cailloux sur lesquels nous cheminons sont très glissants ; on met 1h15. Et ainsi débuta notre explosage d’horaire pour cette course.
Les gros nuages se sont dissipés, le rocher est plus ou moins sec…. On décide de tenter ! Il y a plus de 600m d’arête, c’est un gros morceau! Pour gagner du temps, on prend des vires sur le côté, mais je ne suis pas du tout à l’aise. Je crois que mes neurones sont toujours en mode « non mais sérieux c’est quoi cette arnaque ? Tu veux VRAIMENT grimper à 6h du matin ? ». Il y a un petit pas à faire pour rejoindre une vire qui me donne du fil à retordre. La prise pour ma main est trop haute pour mes 1m60 et des poussières, je me contortione, me mets sur la pointe des pieds, rien à faire. Et puis grimper en grosses chaussures de montagne, ça fait toujours bizarre au début…. J’y arrive pas, je perds du temps ; Guillaume commence à stresser et à me dire de me bouger. Faut dire qu’on avance en corde tendue pour gagner du temps (dieu merci d’ailleurs sinon on y serait toujours !) et en bloquant sur ce pas je l’empêche d’avancer. Non mais quelle histoire. En plus c’est sans doute un pas tout simple à faire, mais quand ça veut pas ça veut pas. Et j’ai pas envie de chuter, encore moins de faire chuter Guillaume. Le ton monte, on gueule chacun, ça finit dans un dialogue de sourd «mais p*** bouuuuuge ! » et moi « mais p**** j’arrive PAS je te diiiiis ». On ne se parle pas, on ne crie pas, on se hurle dessus. Je pense que tous les habitants du Val d’Hérens nous ont entendus. Ah, l’amour en montagne, le partage de notre passion, le romantisme des cordées. Ouais ouais.
Sur un malentendu je sors de cette difficulté, non sans peine (et non sans avoir ajouté quelques minutes supplémentaires à l’explosage d’horaire). On rejoint l’arête, et les mouvements sont plus fluides, je m’en tire mieux maintenant. Le rocher est bon, et les couleurs sont super belles. Le soleil est déjà bien levé, le Pigne d’Arolla majestueux. On grimpe à l’ombre et la doudoune n’est pas de trop. On avance petit à petit mais j’ai quand même l’impression, quand je regarde en arrière, qu’on n’est pas au bout de nos peines…
L’aiguille de la Tsa semble assez proche, elle est en tout cas majestueuse. Quelle forme, quelle paroi. Il y a un côté vraiment alpin à cette course, et je commence (enfin !) à l’apprécier. On s’était dit que la Tsa serait le joker, que l’objectif principal était d’arriver au sommet de Tsalion (et accessoirement de revenir en un seul morceau à la cabane !) . Mais avec le retard cumulé, ma petite forme et la pluie annoncée pour l’après-midi, je commence à avoir de sérieux doutes. Quoiqu’il en soit, une chose après l’autre !
La grimpe est régulière et super jolie. On s’assure en mettant des friends et des sangles, et on monte en corde tendue. Je commence à avoir le souffle court, et surtout super soif ; ça m’en fait mal à la gorge… Je fais une petite pause (note pour moi-même : Elise : maintenant tu vas te payer un camelbag !!) pour boire et manger un truc, et on repart. L’aiguille de la Tsa continue de nous narguer, de nous surplomber. Elle est imposante. Le décors est vraiment superbe, la grimpe bien chouette, et même si on (enfin je) n’avance pas à la vitesse de l’éclair, on avance quand même…
Il y a 2 longueurs plus corsées, mais protégées de spits. Guillaume part comme d’hab en tête, et je fais pas la maligne quand il s’agit de le rejoindre. En grosses, c’est tout de suite nettement moins facile qu’en chaussons d’escalade ! Et avec nos gros sacs, nos cuisses sont mises à rude épreuve. Je trouve la deuxième longueur presque plus dure, mais je la passe quand même presque sans tricher 😉
Peu avant d’arriver au sommet, le panorama se découvre et là c’est dément : Dent Blanche et Cervin, rien que ça, pour nous récompenser des efforts fournis. C’est incroyable cet angle de vue. Faut dire qu’on est quasi à 3600m (aaaah ! C’était donc pour ça que je respirais comme dix bœufs ?) et que la hauteur rend ces 4’000m encore plus majestueux. La dernière partie, où il faut cheminer entre de gros rocs, est elle aussi épique et terriblement photogénique. Cette longue arête est assez physique, ça grimpe tout du long, et même si je galère niveau rythme et que mes cuisses ne font pas les fières, je suis hyper heureuse d’être là avec Guillaume, qui fait son petit chamois et saute presque de bloc en bloc.
On arrive au sommet, tellement petit qu’on n’arrive pas à se mettre à deux. Je descends donc d’1m pour m’asseoir sur un caillou (et enlever cet énoooooorme sac qui me scie les épaules !). On voit plusieurs cordées sur l’aiguille de la Tsa, sans doute venues de Bertol. Ça bouchonne aux rappels et vu les nuages déjà présents en face… et mon (non) rythme, je propose de renoncer. (Ya un type en rappel qui siffle « aux champs Elysées. Ça finit de me convaincre. Merci à lui au passage, j’aurai eu cette chanson de merde pour toute la descente). C’est sûr que c’est dommage, car on est vraiment tout près, mais j’aimerais éviter de me prendre un orage sur cette arête et je sais que la descente est encore longue et qu’il faut que j’économise mes forces. Je vois la cabane, minuscule, et rêve d’un hélico qui vienne me chercher. Ou d’un parapente biplace (d’ailleurs : à tous mes amis parapentises et aux autres : y a un créneau les mecs ! Posez-vous sur les sommets et monnayez le vol jusqu’à la voiture. Vous deviendrez riche. Moi j’aurais payé une fortune.) Mais chaque chose en son temps, profitons du panorama dément qui s’offre à nous…
Il nous faut d’abord désescalader la Dent par l’arete N pour rejoindre le col. De là, remonter à la pointe de Tsalion (et ouais ! Faut pas déconner ! Remonter un peu sinon 1’700m de dénivelés c’est trop facile !). Le topo indique 1h, Elise-la-pulveriseuse-d’horaire en met 1h20. Pourtant il me semble que j’ai un bon rythme. Bon. Faut croire que non. Je dis à Guillaume : ah ben on a déjà fait un bon bout non ? Il me regarde et a un léger petit rictus. Il a bien raison : on est encore loin du compte.
De la pointe, l’interminable descente commence. Il faut suivre les marques blanches et rouges. J’ai lu sur C2C que certaines personnes se sont trompées, on prend le temps donc d’être à l’affut de chaque marque rouge (ce qui est super pratique pour Guillaume qui est daltonien !) On désescalade, on descend, on enjambe, mais c’est jamais très exposé et c’est bien indiqué (contrairement à ce que je croyais). Il faut vraiment tirer tout à droite, et on doit traverser des névés ; on sort nos piolets et on avance prudemment, même si la neige nous permet de bien faire la trace. En descendant, un gros éboulement survient plus loin, faisant fuir les bouquetins sur la neige. De là où on est, ils sont minuscules. Ouais… on n’est pas rendus ! La descente n’est pas trop exposée, mais longue, et fatigante pour les genoux.
Je vois un bouquetin qui nous toise, et se demande sans doute comment je fais pour être aussi lente. J’aimerais bien que des types brevètes leurs petits sabots et qu’on puisse se les greffer à la descente, ça irait quand même beaucoup plus vite.
Mais petit à petit, nos gros sacs lourds, mon guide chéri (que j’adore même si je lui hurle dessus parfois) et la pro de l’explosage d’horaire que je suis nous approchons de la cabane. On y arrive après plus de 4h30 de descente (sérieux… selon le topo c’est écrit 2h à 3h… faut m’expliquer ! Mais la gardienne nous avait dit qu’il n’est pas rare que des cordées arrivent à 22h à la cabane. Ouf, ya plus mauvais que nous !) On mange une bonne tarte aux pommes, on s’engloutit un rivella, et on redescend. On croise la gardienne qui remonte à pied avec un sac chargé et un pot de basilique. Toute contente de nous revoir. Quelle chouette femme !
On arrive à la voiture pour le moment de grâce tant attendu : l’enlevage de chaussures et le mettage de tongs. Ce moment béni des dieux. Et on se félicite avec Guillaume, en repensant aux engueulées quelques (longues) heures auparavant.
On n’aura pas fait l’aiguille de la Tsa. Mais parfois faut s’avoir s’écouter et renoncer.
On se sera engueulé. Mais parfois faut pouvoir évacuer son stress pour pouvoir continuer.
On aura transpiré. Mais parfois ça vaut la peine de se dépasser.
On aura explosé l’horaire. Mais parfois ça vaut la peine de ne pas chronométrer et de juste profiter.
Et on aura pas pu s’asseoir à 2 sur un sommet trop exigu ; mais on aura fait une belle course, à deux, en se hurlant dessus, mais en s’aimant quand même sacrément.
Allez : 1, 2 3 : aux champs Elysées, tada tadada, Aux Champs Elysées… (ne me remerciez pas).
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