Grand Combin (4314m)
Grand-Combin par l’arête du Meitin, 9-10 septembre 2012
C’est vrai : je m’étais dit que le Cervin serait la dernière grosse course de la saison. Je n’avais pas percuté sur le fait que nous avions encore une course de réserve. Mais la neige de ces dernières semaines a mis à mal nos projets (Dent d’Hérens notamment).
Et puis le soleil est revenu. Seulement voilà, je n’étais plus sûre d’avoir la force et la motivation pour m’engager dans une grosse course. Elise-la-paresseuse était de retour, et quand Eric, notre guide, m’appelle pour me dire que le Grand-Combin par l’arête du Meitin serait en condition pour ce week-end, je lui dis diplomatiquement qu’une course, je veux bien, mais pas un truc ultra dur ou beaucoup trop long. Il me répond du tac au tac « ah ben pas le Grand-Combin alors ».
Il propose le Castor, le Polux. Guillaume et moi, on n’a pas trop envie de ça. C’est vrai ; tant qu’à passer une nuit blanche dans une cabane, autant faire une course un peu moins courue. C’est sur cette réflexion qu’Elise-la-motivée renaît de ses cendres, tel le Phoenix et rappelle Eric, en lui disant que finalement, le Grand-Combin, ça nous tente bien.
La course, initialement prévue samedi et dimanche, est repoussée à dimanche lundi. Et oui, c’est un week-end de septembre tout ensoleillé et on n’est pas les seuls à vouloir faire le Grand-Combin le samedi. 22 autres personnes ont ce plan. Je ne raffole pas des files indiennes et autres autoroutes, on décide donc de repousser ça d’un jour. Entre temps, je cogite, je flippe, je lis les topos, et ça ne me rassure pas. Beaucoup disent que la course est très paumatoire et dangereuse, et surtout très longue. Eric n’a jamais fait cette arête. Bon on verra bien. Allez, une chose après l’autre.
Le dimanche nous attaquons donc la montée vers la cabane de Valsorey. C’est drôle de repenser qu’une année avant, en juillet, nous y étions montés à la journée pour manger des röstis et je balisais déjà parce que les 1200mètres de dénivelés me faisaient peur. Comme quoi les temps changent. La montée est vraiment belle, un peu longue pour ma part au début, mais le frais revient, les muscles se chauffent, et on avance tranquillement. Après le replat, la dernière montée dans la moraine pour rejoindre la cabane, et en toile de fond, le Combin de Valsorey, imposant. Il est sacrément haut. Je le regarde, perplexe, et là un type qui redescend de la cabane me croise et me demande si ça va. Je lui montre avec mon bâton le Combin de Valsorey et lui dis « j’y arriverai jamais ». Il se marre et me dit d’y monter lentement et de boire beaucoup. Forcément, j’ai tendu mon bâton dans la direction de la cabane et ce brave monsieur pense que je vais y manger des röstis à Valsorey et redescendre.
Gentiment mais sûrement nous arrivons à la cabane. La vue depuis là-bas est magnifique, et la gardienne est juste super sympa. Son aide-gardien aussi d’ailleurs. On s’y sent bien dans cette petite cabane ! La merveilleuse tarte aux poires de la gardienne n’y est pas pour rien ! Le repas est bon et l’ambiance top, nous sommes une dizaine dans la cabane et à notre table Patrick et son guide Bastien, tous 2 super sympa. Dernière nous des Français avé l’accent du sud, et des Hollandais qui nous demandent si la course va être facile. Oui oui, y a une baraque à frite au sommet et un téléski, c’est nickel.
La nuit en cabane est pas si pire, je fais des micro-sommeils et pas de ronflement, ce qui est assez rare pour être relevé.
Départ à 4h30. Je redoute la montée au col et j’ai bien raison. Ça se passe dans un espèce de tas d’éboulis, il fait noir, j’ai le souffle court et je souffre. Eric me dit que c’est pas normal de respirer si fort. Ben oui, je prendrais bien 2-3 poumons supplémentaires s’il y avait du stock. En plus comme j’avance aussi vite qu’un panda (peut-être même qu’un panda gravirait ça plus rapidement), Guillaume ne tend pas la corde et je m’encouble dedans. Je commence vraiment à avoir des doutes et me demande si je ne devrais pas abandonner tout de suite. Je regarde derrière, à part Guillaume qui me fusille du regard, les Hollandais sont aussi à la traine. Allez, je vais jusqu’au col et on verra bien la suite.
Au bout d’un peu plus de 2heures, nous y arrivons enfin ! Et là je me retourne, c’est le paradis : derrière moi, le Mont-Blanc reçoit les premiers rayons de soleil. Il est rose, il est ma récompense à tous ces efforts et cette vue me booste à continuer.
C’est maintenant que les choses chouettes commencent : l’arête est en vue. Sacré rocher en tout cas. Les français nous sont passé devant et il faut se méfier des pierres qu’ils font tomber. Eric trouve le premier spit et tout s’enchaîne hyper bien. On grimpe, on avance, on double les Français qui eux n’ont pas eu l’œil de lynx… Je prends un énorme plaisir à cette escalade, le rocher est bon, il y a de chouettes mouvements à faire, ça monte bien mais c’est ludique. Quoi ? Je deviendrais positive ? Tout fout le camp ! J’exprime même ma joie et dis à mes compagnons de cordée que c’est juste trop bien d’être là. Eric et Guillaume ont aussi l’air d’apprécier en tout cas.
Vers 9h, nous voyons le sommet de Valsorey et sa jolie croix. Vers 10heures, nous sommes au premier sommet. La vue est vraiment belle, il n’y a pas un souffle de vent, c’en est presque insolent ! Personne, le panorama pour nous… les Français sont loin, très loin derrière, et les Hollandais… alors eux, ils ont disparu ! J’apprendrai par la suite qu’ils ont préféré abandonné au col, trop déçus de ne pas trouver de baraque à frite un peu plus haut.
Mais la course n’est de loin pas finie. Le Grand-Combin nous attend. Il n’est pas loin, seule une belle arête neigeuse nous sépare. Je ne sais pas si j’ai la force pour monter ces 200 derniers mètres. J’appréhende toujours un peu les longues pentes de neige. Mais ici tout se passe bien, c’est juste trop beau, la neige est bonne, pas de vent, et en 30 minutes nous arrivons au sommet. J’ai même droit à un compliment d’Eric, qui dit que cette montée, c’était de la «grande Elise». (Eric, ya pas à dire, il sait s’y prendre !).
Enfin on y est ! Un peu moins de 7heures de montée, c’est quand même long, mais quand c’est varié comme ça et avec de telles conditions, ça passe tout de suite plus vite… Je sais que le plus dur reste à faire : la descente. La bonne nouvelle, c’est que le couloir du gardien est en conditions, ce qui signifie que nous n’avons pas à désescalader l’arête. Mes genoux sont les genoux les plus heureux du monde en apprenant cette bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que le couloir du gardien est rempli de séracs et de crevasses. Il ne faut donc pas trop trainer.
Passer par ce couloir nous fait prendre un autre chemin. La neige a remplacé la pierre, les séracs sont magnifiques, les crevasses imposantes. J’adore ce paysage, à la fois poétique, beau, majestueux, et en même temps tellement menaçant. Ce contraste est saisissant. Je pourrais le contempler des heures si Eric ne nous rappelait pas qu’il ne faut pas s’arrêter, qu’il faut se dépêcher, avancer. On s’éxecute et mes jambes commencent à souffrir. Mais on avance bien.
On croise 3 personnes des pays de l’est qui montent par ce chemin, pas encordés, et qui font une pause sous les séracs, au milieu des crevasses. Affligeant. Mais bon. Nous continuons notre chemin et Guillaume, en tête de cordée, se retrouve devant une crevasse. Il faut l’enjamber, elle est très profonde (si elle avait servi de décors de film, je suis sûre qu’ils auraient fait le coup de la pièce qui tombe et dont on n’entend jamais le bruit de la fin de la chute). Il y a un bon mètre qu’il faut sauter, la neige de l’autre côté n’a pas l’air en super condition. Guillaume flippe mais se lance. A mon tour. Je me penche pour regarder si je vois la pièce ou le fond, ou la pièce dans le fond, mais non forcément. Je jure, je flippe, et je saute. Ouf, ça a passé. Eric nous rejoint. Sans jurer ni flipper. Décidément, guide, c’est un vrai métier.
On continue notre chemin et une fois à l’abri des séracs, on fait une pause. Pour rejoindre le col, il y a une remontée de 150mètres à faire, dans la neige toujours. Je prends sur moi, c’est les derniers mètres de montée je vais pas commencer à faire ma pénible maintenant ! il y a une rimaye à passer, j’y arrive plutôt bien, Guillaume aussi, et à 13heures nous sommes au col. Les Français sont redescendus par l’arête et sont vraiment haut… je n’aimerais pas être à leur place ! Patrick et Bastien ont gazé et doivent déjà être à la cabane ! Allez, on se motive. La descente du col à la cabane est interminable ; c’est souvent pire quand on a la cabane en vue, on a l’impression qu’elle ne s’approche pas ! Les derniers mètres sont laborieux, j’ai mal à la nuque et aux jambes, mais l’appel de la soupe au légume et du rivella m’invite à redoubler d’effort.
Enfin la cabane à 15heures. Une bonne pause qui fait du bien au corps et à l’esprit. La journée n’est pas finie… il faut encore descendre les 1200mètres qui nous séparent de la voiture ! Le chemin est interminable et je me dis que je devrais vraiment me mettre au parapente ! Avec Guillaume, on fait le jeu du « non mais je crois que la voiture est au prochain virage », et on perd tout le temps. Et ouais, c’est pas tout près et mes crocs qui m’attendent dans la voiture se méritent ! Personne sur le chemin du retour, la nature reprend ses droits, les oiseaux chantent, les marmottes sifflent, les vaches nous regardent passer. Il fait bon, on ne parle pas, on marche, on est heureux.
Je fais un petit bilan durant cette descente. C’est sans doute la dernière course de la saison. Une saison juste insolente : tous nos projets ont été concrétisés : Mont-Blanc par les 3 monts, Mönch, Jungfrau, Zinalrothorn, Cervin et Grand-Combin. A chaque fois, de belles conditions et peu de monde. Jamais eu à rebrousser chemin ou à annuler un projet. Je crois qu’on a une sacrée bonne étoile qui vieille sur nous et je la remercie… On a conscience de la chance qu’on a d’avoir pu faire tout ça, de vivre de telles émotions, de voir de tels paysages. De pouvoir partager tout ça avec les gens qu’on aime.
A 19heures, on arrive à la voiture. La journée a été longue, mais elle a été magnifique. J’ai beaucoup aimé cette course, souvent décriée pourtant. Peut-être à cause des conditions exceptionnelles. Peut-être à cause de la baraque à frite au sommet. Peut-être parce que je deviens positive ?
Allez savoir !
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