Grand Darrey – Arête SE
L’été est enfin là, la motivation aussi (l’entrainement un peu moins…) et Guillaume me propose une course sur deux jours, avec 1900m de dénivelés, du mixte et une nuit en cabane. C’est dans ces moments-là qu’il faut questionner sa santé mentale : pourquoi accepter? L’amour? Un optimisme de chaque instant? Un élan sadomasochiste?
Sans doute cette dernière option, car je ne trouve rien de mieux à faire qu’inaugurer mes nouvelles chaussures d’alpi avec cette course (oui. vous allez vous régaler.)
On se parque à la Fouly, dans le Val Ferret; il fait passé 25 degrés et je crains le pire pour la montée à la cabane de l’A Neuve, et ses 3h30 et 1100m de dénivelés…
Et j’ai bien raison, parce que cette montée à la cabane est un vrai chemin de croix dans une fournaise. Je suis déjà au bout de ma vie après 300m de dénivelés, je vous laisse imaginer mon état quand j’arrive à la cabane. Je ne sais pas par quel miracle je suis arrivée jusque là, et évidemment je me demande comment je vais bien pouvoir encore m’enquiller une course de 9h le lendemain. Enfin bon, une chose après l’autre.
Chouquitude à la cabane
Je suis accueillie par Martine, une gardienne à l’image de cette jolie cabane de pierre : authentique et chaleureuse. Martine tutoie tout le monde, nous appelle par nos prénoms. Et surtout, Martine a deux grandes qualités : elle fait des gâteaux incroyables et elle a 3 chats, dont un chaton qui est le truc le plus chou de l’univers.
La cabane est petite, on est une petite dizaine ce soir, et nous partageons notre table avec un couple valaisan très sympa. On parle de tout de rien, et quand vient le moment de demander les prénoms, le type nous apprend qu’il s’appelle Raoul. Raoul… Crettenand? Le guide qui a équipé plusieurs voies très sympa, comme cette voie au Clocher des Planereuses, faite il y a quelques années ! Et devinez quoi? C’est lui aussi qui a rééquipé l’arête qu’on projette de faire demain, pour qu’elle puisse se redescendre. Il nous donne plein de précieux conseils, et nous dit que le crux c’est la première longueur “pète-sec” (avec l’accent valaisan), et que les anciens la cotaient III+. Sacrés valaisans.
Le crux des wc
Après cette chouette soirée, on va se coucher, évidemment 1h après, j’ai besoin d’aller faire pipi, donc : re-enfilage de pantalon, t-shirt, lampe frontale, crocs, sortir de la cabane sans réveiller tout le monde, parcourir 20m sans mes lentilles à tâtons pour aller aux wc, bref, la vie de cabane quoi. Je me recouche, je ne dors pas, ce qui est un comble pour ma première nuit sans ronfleur dans une cabane. A 4h, on se lève et on engloutit le petit-déj, en même temps que les chats leurs croquettes. Une autre cordée file devant nous pour l’arête; nous on ne se presse pas; Guillaume prépare la corde et le chaton joue avec à 4h30, sous les étoiles, c’est surréaliste et je trouve que c’est un joli moment pour débuter la (longue) journée qui s’annonce. Il fait bon, et on s’encorde dès la cabane. L’autre cordée est déjà loin devant, moi j’essaie de tenir le rythme pour monter au col des Essettes.
Grâce aux températures relativement fraîches et au léger regel de la veille, on avance plutôt bien et on arrive au pied de la voie après 1h05. L’autre cordée avance vite, elle a déjà passé la première longueur.
Les promesses de l’aube
Le soleil se lève, et le spectacle est d’une infinie beauté. Tout s’éclaire, le rocher change de couleur à chaque seconde… si seulement j’avais mon petit carnet d’aquarelle pour figer ce moment. Le lever de soleil, c’est vraiment le doudou pour tout alpiniste qui se respecte. Ce moment sacré qui te réconcilie avec la nuit de merde de la veille, les pieds douloureux, les litres de sueur, l’appréhension d’avant course. Tout devient beau et poétique, c’est le moment de tous les possibles.
On arrive rapidement au pied de la fameuse longueur, bien verticale mais qui paraît assez prisu. Guillaume s’élance et passe ça hyper facilement.
Moi, ça me cueille un peu à froid et ça tire dans les bras. Cette première longueur n’est pas toute courte et bien conti. Mais ça passe relativement bien et la longueur, comme tout le reste de l’arête, est super bien équipée dans les longueurs grimpantes.
Et un coup d’œil sur la suite de la course me fait dire qu’effectivement, le sommet est possible, malgré ma petite forme. J’avais lu sur le topo que la course est longue, entre 3h30 et 5h pour le sommet, et que quand on croit qu’on y est… ben y a encore du chemin. Alors j’essaie de me focaliser sur le moment présent et d’y aller par étape. La prochaine, pour moi, c’est les pitons oranges.
On arrive rapidement vers le gendarme, le rocher est tellement beau! Guillaume me mouline, et lui désescalade sans encombre.
On continue la plupart du temps en corde tendue, ça déroule bien et c’est facile. On avance bien et on arrive rapidement vers la fameuse dalle et ses pitons oranges, que j’imaginais beaucoup plus loin.
Même si la forme est moyenne, le rocher est top quali et il y a tout ce qu’il faut pour que même une brêle comme moi n’ait pas à tirer sur les dégaines pour arriver au relais. La classe, je vous dis.
On continue en corde tendue jusqu’à l’avant sommet. Je ne suis pas une fusée mais j’ai l’impression qu’on tient le rythme. Le sommet est tout proche, et ça c’est une bien bonne nouvelle, moi qui misais sur un timing de 5h… Je fais les derniers mètres jusqu’au sommet en tête (aucun mérite hein, c’est quasi de la marche…) et on arrive après 3h30 au sommet. On voit l’autre cordée-fusée déjà filer vers les rappels.
Il fait super bon là-haut, pas de vent, du soleil, la belle arête dans le rétro et la prochaine qui nous attend en désescalade ! Je me dis que ça va être pénible, mais qu’après au moins il y aura la neige et ça ira plus vite (ma naïveté me perdra).
On se mange une petite barre et on attaque l’arête. Je m’attendais à un truc terrible et bien péteux. En restant bien sur le fil, on limite les dégâts, même si je fais partir un bon rocher. Il faut un peu tout tester, mais ça déroule bien et on arrive rapidement à la brèche. Ça alors ! Je me dis que le plus dur est fait. 3 rappels, des rutchées dans la neige et tarte à la cabane dans 1heure. Sauf que. ça ne va pas du tout se passer comme ça.
Passé la brèche, on suit une sorte de vire un peu chiante, mais on suit les cairns qui doivent nous mener aux fameux 3 rappels. On voit le dernier cairn, on regarde en-haut, en bas, à gauche, à droite, on va voir, on revient sur nos pas, on perd une bonne demi-heure à trouver ce fichu rappel – sans doute un dernier cairn qui n’existe plus et qui nous aurait indiqué son départ. Les points rouges sensés nous aiguiller sont peu visibles, encore moins pour un Guillaume daltonien et une Elise au bout du roul’.
Les pentes de neige ramollies, c’est du chenis
Guillaume finit par trouver le relais – Guillaume est décidément le meilleur des meilleurs – et c’est parti pour 3 rappels. Ensuite, on suit une petite vire et on arrive facilement sur la neige. Là, je suis heureuse, mais je vois que la partie neigeuse, qui avait l’air toute plate depuis l’arête, est en fait assez raide… Et comme il fait environ 8000 degrés, la neige est ultra glissante. On reste encordés, et j’ai autant d’aisance qu’un unijambiste avec mon piolet, à moitié recroquevillée, à essayer de ne pas zipper.
D’ailleurs, à 3 (!!) reprises, je déguille, et Guillaume me retient avec la corde. C’est tant mieux, sinon j’aurais fini directement au glacier de Trient. Non mais des choses pareilles. C’est franchement la misère, et je sais pas ce que j’appréhende le plus : cette descente bien merdique, la remontée au col par 8000 degrés ou la descente depuis le col, bien raide. Mais allez, une chose après l’autre. Guillaume essaie désespérément de me donner des conseils pour être moins naze dans cette neige : planter bien les pointes, me redresser, planter le piolet… La base quoi, mais moi je suis tellement au taquet que je fais n’importe quoi. Je vois la pente raide et ça me crispe à mort. Finalement, la pente s’adoucit, et on arrive au point où il faut reeeeeeemonter vers ce satané col.
On boit une rasade d’eau, et je pense que je dois transpirer 4 litres de sueur pour les petits 100m qui nous séparent du col. Avec la réverbération de la neige, pas un pet de vent, le soleil qui tape…. Pffff mais quelle idée de faire de l’alpinisme. J’aurais pu rester à la cabane et aller me recoucher avec le chaton. Franchement.
Je sers les dents et on arrive enfin au col. Je m’écroule par terre, Guillaume me prend en photo, je la poste ici, c’est important de montrer comme notre fierté peut être réduite à néant dans l’effort 😉
L’heure tourne et je flippe bien pour la descente du col… Pfff va falloir remettre ça. La neige est moins glissante que sur l’autre versant, c’est une chance, mais ça reste ultra laborieux pour la quille que je suis. Comme je n’avance pas, Guillaume me suggère de me mettre face à la pente, et de descendre pieds contre la paroi et chevilles dans le vide. Un pas après l’autre. Sauf que mes “marches” sont ridiculement petites, et je descends à peine. Guillaume s’égosille à me dire de faire de plus grands pas, le soleil tape, j’ai la nuque en feu, je ruisselle, mes mollets crient à l’arnaque, purée mais pourquoi je suis là, moi… A bout de nerf, Guillaume me gueule dessus, avec l’écho je pense que les personnes au sommet du Dolent et dans toute la vallée l’entendent, moi ça me fait presque marrer (en vrai, je me retiens de rire sinon je pense que c’est le divorce). J’arrive après 40 minutes (!!! quand je dis que je suis une brêle je n’exagère rien) à son niveau, la pente s’adoucit, et on avance un peu moins lentement. Je vois la cabane, j’ai hâte du rivella et de la tarte. Mes pieds me font mal, mais on avance, et après 4h30 de descente (!) on est enfin à la cabane.
Martine, toujours aussi gentille, me prête même de la crème solaire – j’ai vidé mon tube et ma nuque est cramée (et pas que ma nuque, toute ma personne). On se fait une bonne pause, et on entame les 2h de descente, qui pour mes petits pieds meurtris sont 2h de trop… Guillaume file devant pour aller chercher le van et m’attendre au camping avec un Rivella frais. Si c’était pas déjà fait au sommet du Cervin, je le demanderais en mariage. 1900m de dénivelés négatifs plus tard, vient le saint sacrement pour mes pieds : l’échange des chaussures d’alpi contre mes tongs. Non mais des bonheurs pareils.
Le Grand Darrey, c’est une belle course. Mais longue. Mais belle. Vous n’y serez pas dérangés par la foule (merci les 3h de montée à la cabane), les paysages sont dingos, tout comme les tartes à la cabane, et le rocher est parfait. Qu’il est beau, ce val Ferret !
Merci Martine pour l’accueil, merci Raoul pour le rééquipement, pour les précieux conseils, ton humilité et ton humour, et merci mon Guillaume pour me supporter. Je sais que je ne suis pas un cadeau, surtout dans les pentes de neige.
Infos et topo
Le topo de C2C, AD+ 4c>4b III P2 E3
La cabane de l’A Neuve et ses délicieuses tartes
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