Grisighorn – arête S
Vous aimez les voies bien équipées? La vue d’autres cordées vous rassure ? Vous avez des genoux sensibles et êtes peu enclins aux désescalades sur pierres branlantes ? Alors rayez de votre liste l’arête Sud du Grisighorn.
Par contre, si vous aimez les belles arêtes sauvages, pas équipées, le Haut Valais, et les descentes sur terrain hostile, cette course est pour vous!
La neige de ces derniers jours nous fait revoir nos plans. Il nous faut une course orientée sud, qui aura vite séché, pas trop haute, et faisable à la journée. Sandrine et son super blog sont une bonne source d’inspiration et on opte pour le Grisighorn, qu’elle a parcouru l’année passée. Avant son récit, je n’avais jamais entendu parlé de cette arête, et le peu de sorties rentrées sur Camptocamp confirment que cette course ne paraît pas aussi populaire que d’autres, comme le magnifique Gross Furkarhorn gravi il y a quelques semaines notamment.
Pour rentabiliser le trajet, on grimpe la veille une petite longue voie de 3 longueurs, dont le premier 4b me fait péter le score de tirage de dégaine, ce qui promet plein de belles engueulades pour le lendemain. Enfin bon, j’essaie de me dire un jour après l’autre et de ne pas trop penser à la suite.
Approche bucolique et botanique
On prend la première benne à Blatten de 6h50, qui nous amène sur les alpages verdoyants de Belalp. Il fait frais et je bénis cette température qui sera parfaite pour l’approche. Cette approche, je l’imaginais interminable, mais les 2 heures sont vite avalées. Il faut dire que c’est super bucolique, on traverse des sortes de marais, et même si ça fait plotch-plotch à chaque pas, ça regorge d’une magnifique flore : arnica, linaigrettes, épilaubes, centaurées… (je dis ça pour faire genre, mais en vrai j’ai été voir sur Google après, hein!). C’est vraiment joli, les vaches paissent et on entend le tintement de leurs cloches. Bientôt la partie relou arrive, il s’agit de remonter des éboulis instables. Ensuite on s’encorde pour la dernière partie herbeuse raide qui nous amène à la brèche et donc au début de l’arête. Il est 9h15, on est dans les temps, et la partie sympa commence !
Il fait toujours frais mais beau, et je suis super contente d’être là, en montagne avec Guillaume, malgré la météo compliquée de ces derniers jours. La cotation AD me faisait penser que ce serait une petite course toute tranquille, vite avalée. Ouais ouais.
Guillaume part en tête, et je remarque rapidement qu’il y a des petites sections qui grimpent bien. Malgré 1-2 friends, et le fait qu’il n’y ait aucun spit sur toute l’arête, il me demande si je souhaite qu’il pose un relai pour m’assurer dans les parties plus grimpantes, je ne crache pas dessus. C’est les premiers mètres, il faut se faire au rocher, réapprendre à grimper tout court, à grimper en grosses. On tire donc quelques longueurs, juste assez pour me mettre en confiance.
D’autres parties déroulent bien et on les avale en corde tendue. Le panorama est dément, on voit plein de 4000 et en face sa majesté le Bietschhorn, bien enneigé! Mine de rien, on prend de la hauteur, et j’ai beau avoir fait pas mal d’arêtes avec Guillaume, il m’impressionne toujours autant par sa fluidité, son aisance à trouver l’itinéraire, et sa façon “d’engager la viande” dans quelques variantes pas du tout protégeables et pas si simples.
Après environ 2h de montée, on arrive à la brèche équipée de sangles sur lesquelles Guillaume me mouline. Il pose ensuite un rappel et on entame la deuxième partie, constituée de deux ressauts et de la partie sommitale. Je pensais que ce serait vite plié, mais je me rends compte que la route est encore longue et qu’il ne faut pas traîner.
Tirer or not tirer sur la sangle…
Guillaume passe les deux ressauts – je ne sais pas si c’est le bon itinéraire, mais en tout cas sa variante a le mérite de grimper… je le vois poser un friend et il me dit “celui-là il est surtout psychologique”. Heureusement qu’il a une sacrée marge et qu’il est en tête, je serais incapable d’être à sa place ! Ma peur du début de l’arête s’est estompée, je suis maintenant à l’aise, mais un sale vent du nord, sitôt la brèche atteinte, rend l’ambiance totalement différente, beaucoup plus austère. Heureusement, dès qu’on est en versant sud ça se calme. Le fait qu’il n’y ait personne sur cette arête, et qu’elle soit totalement vierge à part une sangle et des cordelettes pour le rappel, rend cette course vraiment sauvage. A chaque ressaut, je guette plus loin dans l’espoir de voir la croix du sommet.
Je commence à fatiguer et je demande à Guillaume si c’est encore loin. Il me dit qu’il ne faut pas traîner, ce qui se traduit en “bah ouais ma vieille!”. J’essaie de poser le cerveau et de continuer du mieux que je peux. je sens souvent la corde se tendre, et j’imagine Guillaume, quelques mètres plus loin, en train de se dire “bon elle se bouge ou quoi?!” (aaaah l’amour, le couple, la cordée romantique, tout ça…). On arrive au dernier passage grimpant avant la dernière partie d’arête qui s’aplatit, c’est le crux et il y a une sangle. Guillaume me conseille de prendre bien à gauche, il me dit que ça passe sans tirer sur la sangle. Evidemment je tire dessus, ça ne m’aide pas du tout, ça me déporte sur la droite, on dirait une vieille baudruche dégonflée tenue par une ficelle, je suis coincée et statique, Guillaume me dit de me bouger et de tenter quelque-chose. Après des minutes qui me paraissent une éternité, je comprends enfin qu’il faut mettre le pied sur la gauche et je le rejoins…
La dernière partie est une arête peu difficile mais bien aérienne qui mène enfin à la croix. Aaaah enfin! Par contre le gaz est assez impressionnant pour la petite personne que je suis, et je suis pas ultra zen quand il s’agit de franchir un gendarme ou de rester sur le fil. Guillaume me presse, alors je fais au mieux, en pensant à la bière d’arrivée, à la douche à la maison, au fiston qu’on retrouvera (et surtout, oh surtout pas à la descente!).
Je pose le cerveau et j’avance tant bien que mal, sans vraiment avoir le temps de prendre quelques photos de Guillaume; c’est bien dommage parce que l’ambiance est vraiment super belle et ultra sauvage dans ces pics de roche, mais bon, demander à Guillaume de poser ou avancer, il faut parfois choisir!
Descente interminable et lynx alpin
On arrive à la croix après 4h environ sur l’arête – quand je vous dis que c’est pas tout court! La vue est vraiment démente. On voit les petits chalets de Belalp au loin, qu’il va falloir regagner, et quand je vois la taille microscopique des vaches qu’on a dépassé à l’approche, je me dis que je devrais vraiment me mettre au parapente pour les prochaines sorties.
Après une bonne pause, on décide d’attaquer cet interminable tas de caillou. On laisse la corde, je suis tellement mauvais dans ce genre de terrain qu’ainsi Guillaume est obligé de m’attendre et ça me rassure. J’ai la grâce d’une vache, je m’accroche à chaque caillou, je désescalade sur les fesses, je me tords dans tous les sens, je sue, alors que Guillaume est droit et léger comme une plume, à l’aise sur ce terrain. Ah vie cruelle. Il me dit “allez, sois un lynx, léger, agile”. Je suis pas sûre qu’un lynx soit fan d’une descente en T5, mais bon, sans doute plus qu’une vache, hein. C’est sur ces considérations sociologiques que mine de rien, au bout de quasi 2h, nous arrivons enfin aux pentes herbeuses. Je vois bien que l’heure tourne et que la bière de Belalp apparaît de plus en plus comme un rêve inaccessible. Heureusement, j’ai un Rivella au fond du sac qui nous redonne le moral nécessaire avant la descente dans les pâturages jusqu’à Belalp.
Après 9h30 de course, on arrive à la benne remplie de touristes. Quel contraste par rapport à cette journée en solitaire! Un coup d’œil en arrière pour voir la course du jour; sa belle arête sud et son interminable descente. C’est décidément une bien belle région, ce Haut Valais !
Alors merci à mes genoux de m’avoir supportés, à mon mental d’avoir résisté, à Guillaume de m’avoir un peu gueulé dessus mais surtout de m’avoir coaché dans les moments importants; je sais que je ne suis pas un cadeau et que j’ai une bonne marge de progression. Mais malgré tout, la sueur, les jambes lourdes, les coups de mou, y a ce truc magique en montagne : on ne retient que le bon. L’arrivée à la croix, les paysages, le coup d’œil en arrière, le Rivella, le t-shirt sec de rechange, le bisou à mon amoureux. C’est sans doute pour ça qu’on y retourne 😉
Le Grisighorn est une course sauvage sur un rocher globalement bon (après, il faut bien tester les prises). C’est chouette aussi de voir des pics préservés, pas équipés, et des itinéraires encore sauvages, à l’heure où de plus en plus de montagnes se transforment en via ferrata géantes.
Topo et infos
Arête sud du Grisighorn AD 4b>4b III P4
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