Jungfrau (4158m)
Départ donc, on reprend la piste balisée, sans Japonais cette fois-ci (certes, ils sont matinaux mais 4h du matin c’est un peu juste tout de même). Après 1h d’approche, 2 possibilités s’offrent à nous : traverser par les rochers ou contourner par la neige, ce qui est l’itinéraire normal.
Petite parenthèse me concernant : les montées dans la neige, ça a le don de me scier les pattes et le moral. Alors que le rocher, c’est ludique et ça impose de micro pauses (pour laisser monter notre guide au prochain relais) qui sont pour moi et mes mollets salvatrices.
Vous comprendrez donc que la décision s’est prise rapidement. Rocher. Il fait bon, le soleil se lève, le glacier d’Aletsch se dévoile… c’est magnifique. J’essaie quand même de me gafer pour ne pas foutre un coup de crampon dans les joues de mon chéri, juste derrière moi. Le pauvre, il doit se calquer à mon rythme (ou à mon non-rythme, je serais tentée de dire). Ben oui. Etre encordé, ça te relie à la vie, c’est un peu ton cordon ombilical, mais c’est aussi une sacrée sources de tensions. Je suis sûre que plus d’un couple a divorcé à cause d’une corde. Enfin je m’égare.
Après ce passage rocheux, mes crampons foulent à nouveau la neige. Et c’est là que j’ai la très mauvaise idée de regarder ce qui m’attend. Une longue et infinie pente de neige. Je vous passe les détails ; disons juste que mon j’en-peux-pluuuuuuuuuuuus a compensé son quota de la vieille et que chaque pas était un combat. Après 2 nuits blanches, pas mal de dénivelés, et un sommet qui semblait à perpèt, j’atteignais ma phase de démotivation ultime. J’ai même esquissé un « heu bon je vous attends là hein… ». Mais les hommes sont durs à la négociation.
J’ai continué sur cette pente, tant bien que mal, en essayant de penser à des choses qui pourraient me changer les idées : les factures qu’il me reste à payer, ce que doivent faire les Japonnais en ce moment à Grindelwald, ce qu’on va manger ce soir ou combien de temps j’hibernerai après cette course. Mais rien y fait, je reste focalisée sur ma douleur et devient de plus en plus pessimiste. Vais- je arriver à ce sommet ? Rien est moins sûr…
Je me méprise à espérer que la rimaye soit infranchissable, que la rumeur lancée par les français est bien réelle et que l’on doive redescendre… La rimaye justement est en vue. Une cordée de 2 nous a dépassés au début de la course et s’approche de la crevasse. Allez. Dis-moi que c’est infranchissable. J’ai les yeux rivés sur cette cordée, tout comme Jérôme et Guillaume. Jérôme, le guide, commente à haute voix. « Allez. Ouais c’est bien, ouais passe par là » (bien sûr le type est à 50m et n’entend rien, mais pour Guillaume et moi c’est plutôt chouette, on a l’impression d’assister à un paris-Dakar de l’alpinisme et d’avoir le meilleur commentateur du monde rien que pour nous). « Ouais, c’est juste, allez ! Yes ! ». Quelques secondes après, le premier de cordée enfonce son piolet sur une pente assez raide et après quelques mètres, arrive sur un replat.
Rimaye passée.
Elise, va falloir te bouger, plus d’excuse valable…
Le passage de la rimaye sera un peu le tournant de la course en ce qui me concerne. Comme il s’agit d’une partie technique, impossible de se focaliser sur la douleur ; il faut se concentrer, planter correctement le piolet, bref, moi j’aime bien, on arrive au replat. La fin de la course reste technique, pentue et parfois gelé, le terrain n’est pas la piste damnée qu’on avait connu au départ du Mönch.
Le guide nous assure à des relais, on avance bien, le sommet se rapproche (c’est fou ça, mais y a toujours un « mais il est trop loin ce sommet je vais jamais y arriver » puis un « quoi déjà ? Mais on y est presque !!, et entre les 2 jamais trop d’étapes de transition). Quelques mètres encore. On passe devant la plaque qui commémore les 7 militaires morts quelques années plus tôt, emportés par une coulée. Pfiouh. Ça plombe, on essaie de ne pas y penser et de rester concentré.
Malgré l’effort, l’altitude, j’adore les derniers mètres avant un sommet. Quand on sent qu’on y est presque. Quand on sent la fierté monter, et cette reconnaissance aussi, ce « merci » qu’on a envie de crier, merci de me permettre d’être ici, merci de me donner les capacités de pouvoir faire ça… Le sommet, les embrassades et la joie. Je pourrais vous le dire avec tous les adjectifs et superlatifs du monde. C’est juste au-delà des mots. Un bonheur absolu, une impression de toucher les étoiles…
Puis la descente. Sous le sommet, ce n’est pas simple, toujours aussi raide, mais tout va bien. Guillaume est en tête, parfois il va un peu vite pour mes ptites cuisses, je le lui dis (c’est vrai, je pourrais avoir des tournures de phrase plus diplomatiques ou romantiques, mais mon ton expéditif a le mérite d’être clair).
Ensuite, nous avons le choix de couper directement par une pente qui nous amènerait tout près de la jungfraujoch, ou alors de revenir par les pentes de neige et de faire un bon gros détour. Il fait déjà très chaud, les séracs ont plutôt l’air de vouloir danser la lambada et on opte pour la solution la plus longue mais la plus sûre : le contournement.
On s’enfonce à chaque pas (enfin surtout Jérôme et Guillaume ; moi je remercie mère nature d’avoir inventé le concept de la femme plus légère, qui marche avec une grâce infinie sur la neige sans s’enfoncer – ou presque). Et vient la dernière partie : la fameuse petite montée qui tue. Parce que dans une descente, ou sur le chemin du retour, il y en a toujours une, qui t’attend, te guette, te surprend et te tronçonne les dernières réserves que tes cuisses avaient gardées. Il fait un soleil de plomb, je me liquéfie, Guillaume est toujours devant, et même s’il s’enfonce, il avance le bougre. Du coup, pour être tendue, la corde est sacrément tendue. A tel point que Guillaume se retourne et me lance le regard qui tue (et s’il avait eu des mitraillettes dans les yeux, ça n’aurait pas été qu’au sens figuré) pour me faire comprendre que je dois avancer. Je comprends vite et bien, mais de là à mettre tout ça en application… Et encore faut-il le pouvoir, parce que les derniers mètres, je ne rigole plus trop…
Les derniers mètres sont longs, très longs. Les bobs beige sont en vue. J’y suis presque. Retour à la civilisation. Morte mais heureuse. 2 magnifiques sommets, 2 courses totalement différentes, plein d’émotions, et des souvenirs plein la tête !
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