Mönch (4107m)
On en a fait du chemin… il y a moins d’une année, je ne savais pas à quoi servait une paire de crampons, je croyais que les séracs se limitaient au domaine du fromage et que les crevasses, ça ne se trouvait qu’en hiver, dans des endroits sauvages et inaccessibles de domaines skiables obscurs. Bref. On est parti de loin.
Et puis après une initiation à l’alpinisme, on a un peu grillé les étapes. Appris des mots, des techniques, appris surtout à se surpasser. Bishorn, Dent Blanche, Kilimandjaro, Mont-Blanc en ski, Island Peak (6000m au Népal), et nous voilà sur d’autres projets pour cet été 2012, qui s’annonce … actif et ambitieux !
On commence fort avec l’enchaînement Mönch et Jungfrau. Bien sûr, je flippe, j’angoisse, je me demande si j’en serai capable (toujours les mêmes refrains. De l’extérieur ça peut avoir un côté Alzheimer un peu flippant, mais à moi ça me rassure de me poser ces questions).
La première fois que j’étais allée en altitude, c’était à l’occasion de mes 18 ans. Mon copain de l’époque m’avait offert le Top of Europe, et j’avais débarqué en bottines et jupes à la Jungfraujoch, à regarder les montagnes d’un air – faut l’avouer – un peu … enfin pas vraiment… Vous voyez. Les montagnes à l’époque, c’était quelque-chose de totalement abstrait et même le magnifique glacier d’Aletsch m’avait laissée de marbre. Je vous l’ai dit, j’étais jeune et désabusée, je n’avais pas encore Alzheimer et je ne regardais pas les montagnes avec le même œil.
Départ donc de Grindelwald (oui ce village existe pour de vrai, ce n’est pas seulement un nom inscrit au dos d’une carte postale), avec une horde de japonais, pour un trajet en train bucolique, des crépitements de flash et des haltes pour photographier la paroi nord de l’Eiger. C’est la guerre à celui qui prendra la meilleure pose pour nous faire croire qu’il est presque en train de gravir la face nord. Les touristes ne regardent le paysage qu’à travers leur Canon.
Comme on a les piolets et la tenue du je-suis-un-alpiniste-et-je-suis-super-fort-en-montagne, les Japonais nous regardent avec une certaine admiration et nous prennent discrètement en photo. J’ai un peu envie de leur dire que bon, rien n’est fait et que pour l’instant j’ai pas fait mieux qu’eux, mais je préfère rester stoïque face à ce quart d’heure de gloire et montrer mon meilleure profil de sportive d’élite. Ou pas.
Plusieurs choses me font flipper : la nuit dans la cabane (ça c’est un peu la règle de base. Je ne dors pas dans ces foutues cabanes…), l’enchaînement de deux 4’000 et enfin – surtout – la fameuse arête sommitale du Mönch. D’autant plus que la veille j’ai eu la brillante idée de taper sur google « accident » + « Mönch », et je n’ai pas été déçue. Je me prépare à faire l’équilibriste donc… Damned ! J’aurais dû penser à prendre une ombrelle avec le piolet.
Départ de la station vers 10h, sur une piste ultra balisée, entourée d’indiennes en ballerine, de Japonais à bobs beiges (parce qu’un Japonais sans bob beige, c’est un peu comme une Elise qui n’angoisse pas la veille d’une ascension. Un non-sens total, une absurdité absolue.) Un début tout gentil donc, presque à se demander si on est vraiment au bon endroit. Je me dis que si l’arête du Mönch pouvait ressembler à cette autoroute damnée, finalement ce ne serait pas si pire. Le guide m’interrompt dans mes délires. Il nous dit de lever la tête, le Mönch s’impose fièrement sur notre droite. Wow. Il est beau celui-là… et il a la bonne idée de ne pas paraître trop imposant, trop inaccessible, trop haut. Un instant d’optimisme me fait me dire que je vais peut-être y arriver sans trop de difficulté.
On quitte nos amis à bobs beiges, on se dirige vers le pied du Moine, on sort nos crampons et on dégaine nos piolets. Chouette, ça a l’air d’être pas mal du rocher. J’aime bien le rocher. On croise pas mal de cordées qui redescendent, ce qui présage de bonnes choses : on sera sûrement peu nombreux au sommet et on devrait pouvoir éviter de croiser du monde sur cette arête sommitale !
Ça monte sec, mais c’est chouette. Je m’accroche aux rochers, tout ça manque cruellement d’esthétisme, de glamour et de fluidité, mais l’essentiel c’est d’avancer il paraît. Un peu de neige ensuite. Ça change, ça avance, on est déjà bien monté et le rythme est bon. Les encouragements de Jérôme, notre guide, me poussent à ne pas trop me plaindre (non parce que oui, je suis assez pénible en montagne, et j’ai une tendance à utiliser un peu souvent le « j’en-peux-pluuuuuuuuuuuuuuuus » passé une certaine altitude). Une petite arête pour me mettre en jambe. Dès le départ, je décide de me focaliser sur mes pieds et les 20 centimètres qui les précèdent, sans regarder à gauche ou à droite. Ça passe, je ne tremble pas, youpi ! ça me donnerait presque confiance tout ça.
Puis les choses sérieuses commencent. Jérôme se retourne et nous fait un petit sourire que je traduis par « bon les gars on y est à cette fameuse arête ». Je reste concentrée et m’efforce de ne pas regarder ce qu’il me reste à faire. Un pas après l’autre. Jérôme et Guillaume déconnent, moi je me focalise sur ces ptits crampons qui, faut le reconnaître, tiennent la route – ‘fin l’arête…
Après quelques minutes (heu… ma notion du temps à ce moment-là n’était pas des plus précise…), Jérôme nous dit qu’il y a un faux sommet et que le vrai sommet est pour bientôt. J’ignorais le concept de faux sommet. Ça existe ça aussi ? C’est un fromage aussi ?
C’est surtout une blague du guide, qui nous dit après quelques secondes que bah non il s’était trompé et qu’on est déjà au sommet ! Il se retourne et me dit : Alors ? (qu’on peut traduire par : Alors, heureuse ? Alors, c’était pas si terrible ! Alors, tu nous le fais quand ton « j’en peux pluuuuuuuuuus ».
Photos, Guillaume met la gopro pour immortaliser la descente. Je sais que seule la moitié de la course est faite et qu’on doit refaire l’arête en sens inverse, la descente se fait finalement bien, sans regarder en-bas, ni en-haut, ni sur les côtés (je crois que vous comprenez le concept).
Descente rapide, en moins de 2h on est à la cabane. Si toutes les descentes étaient aussi courtes… Arrivés à la cabane du Mönch vers 16h, le temps de découvrir notre dortoir (et sa subtile odeur de transpiration qui vous prend la gorge… ). Durant la soirée, plusieurs français évoquent le sommet prévu demain, la Jungfrau. Selon eux, il n’y a plus de traces après la rimaye, ce qui laisse présager que la rimaye est infranchissable. En clair, peu de chances d’aller au sommet. Après quelques secondes, la rumeur se propage (quels piplètes, ces alpinistes), et nous nous retrouvons à 4h du matin quasi seuls à se lancer pour la Jungfrau.
Et puis bon, si on n’arrive pas à son sommet, c’est pas non plus la fin du monde.
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