Portjengrat (Pizzo d’Andolla)
Vous avez vous aussi votre “wish list” de courses d’alpinisme ? Des sommets emblématiques, des rêves éphémères ou des objectifs d’une vie? Guillaume, c’est le roi des listes, il a des listes pour tout. Y compris pour les projets d’alpinisme. Et quand je dis que c’est le roi des listes, c’est parce qu’il pondère. Il met des petites flammes dans la colonne motivation. 1 petite flamme “ moyennement motivé”. 2 petites flammes: “bien motivé”. 3 petites flammes, c’est le jackpot du “super motivé!”
Le Gross Furkahorn avait 3 petites flammes, tout comme l’arête N du Weissmies. A chaque fois des courses où je me suis mis beaucoup de pression. Mais qui ont été super belles. La dernière en liste, et pas des moindres, c’est le Portjengrat. Après l’arête N du Weissmies et les Dri Horlini, c’est un peu la trilogie des courses mythiques à faire dans le coin. J’avais déjà repéré l’arête il y a quelques années et cette course me faisait rêver !
La semaine précédente, j’ai lu tous les topos, tous les comptes-rendus, j’ai scruté les photos. L’idée était de me rassurer, mais ça a plutôt créé le sentiment inverse. Et puis bon, je me suis dit, allons-y, on verra bien! Advienne que pourra (des fois je suis comme ça, hyper philosophique).
Les interminables montées en cabane
Départ donc de Saas Almagell; il fait 25 degrés, c’est un week-end caniculaire, et je ne sais pas comment je vais gérer les 1000m de dénivelés jusqu’à la cabane. Dès les premiers mètres, je suis trempée. On prend le télésiège pour s’économiser 200m de dénivelés, mais ça reste évidemment beaucoup trop long et laborieux pour moi, cette histoire. On s’arrête au restaurant Almagelleralp, il reste encore 600m de dénivelés mais je suis déjà au bout de ma vie et la montée finale, sous un soleil de plomb, m’achève définitivement. Je me demande comment ça ira le lendemain, pourquoi je m’inflige ça, qu’est-ce que je cherche et qu’est-ce que je fous là.
La cabane, pour un vendredi soir, est déjà bien remplie par plein d’alpinistes avec des piolets beaucoup trop grands qui vont faire l’arête SE du Weissmies.
On est à une chouette table, et on passe évidemment par les moments incontournables d’un repas en cabane, qui commencent par un festival de tintement de cuillères à soupe amassant les derniers liquides de la soupe à la tomate, et se concluant par la traditionnelle boîte de fruits en conserve. Aaaaah, les cabanes. Comme on ne fait jamais les choses à moitié, on a en plus le privilège de partager notre dortoir avec, mesdames et messieurs sous vos applaudissements, le roi des boulets des cabanes !
THE champion du monde des boulets de cabanes
Il y a un réveil à 4h et un à 7h. On opte pour celui de 4h. Le boulet, mon voisin de droite, décide de mettre son réveil à … 2h. Il le laisse sonner bien 1 minute, à fond hein, là où y’a de la gêne y’a pas de plaisir, et il se rendort. Je pense qu’il a fait une erreur de manip. Non non, ce brave boulet a juste snoozé, donc le réveil sonne à nouveau, genre 10 minutes plus tard, puis à nouveau, puis encore. Là je commence à gueuler, ça le gêne pas pour un sous. A 3h, il se lève. Je ne sais pas ce que ce mystérieux connard avait comme plan, et ça restera un mystère pour moi. Mais bon, à mes petits-petits-petits enfants, je pourrai leur dire “j’ai rencontré LE boulet des montagnes”.
A 4h, on se lève, pas pressés, car ça ne sert à rien de partir trop tôt. J’avale péniblement une tartine, tout le monde s’affaire, les premières frontales partent déjà pour le Weissmies. On décolle 45 minutes plus tard, et on est surpris de voir plusieurs frontales en direction de la Portjengrat. Mince alors, moi qui étais sûre qu’ils iraient tous au Weissmies…
On aimerait tenir les 2h d’approche, et si les peintures sur les rochers et les cairns facilitent l’approche, de nuit (et avec ma frontale qui éclaire aussi bien qu’une vieille bougie de réchaud en fin de vie) c’est pas si évident. Le jour se lève, le Dom et le Täschorn en face sont roses et incandescents, ça ferait presque oublier les ananas en boîte et les psychopathes du snoozage.
On s’approche du début de la voie; il y a déjà des cordées dedans, et une autre qui s’est complètement plantée, beaucoup trop à gauche, et qui revient sur ses pas. Il y a 2-3 longueurs au début, qui rejoignent l’arête, et dont le début est marqué de flèches jaunes. On le repère à l’approche, on voit que les premières cordées sont parties trop à droite, on n’est pas mécontents de ne pas être partis trop tôt pour bien identifier l’itinéraire. On attend un peu que les cordées avancent, il y en a une qui a la délicatesse de nous envoyer des cailloux à 30 cm de ma tête, ça commence bien… J’enfile la softshell et les gants, car il y a un petit vent frais.
Guillaume s’élance sans problème dans la première longueur; je le rejoins et je suis surprise, je m’attendais à pire. Il y a certes une petite traversée sur dalle qui ne doit pas être marrante pour le leader ou quand les longueurs sont verglacées, mais là c’est tout sec, et ça passe bien ! On traverse ensuite à gauche pour choper la deuxième longueur, on rejoint le couple qui s’était planté d’itinéraire, on les laisse passer et on continue. On est toujours à l’ombre, fait pas chaud, mais j’ai contre toute attente de bonnes sensations.
Guillaume rejoint l’arête et le soleil, je lui emboîte le pas. On voit l’arête qui s’offre à nous, c’est super beau et même si c’est niais de dire ça comme ça, je suis super heureuse d’être là!
Sur le fil…
Je pensais la première partie toute déroulante, mais il y a quand même quelques pas. Sitôt sur l’arête, Guillaume me dit “bon tu verras y’a 1-2 pas bien aériens mais ils sont faciles, ça va aller”. Merde, du gaz! Bon j’y vais, je rejoins l’arête et il y a le gaz en-dessous mais je ne m’attarde pas trop là-dessus et j’applique plutôt mon fameux “courage, fuyons”, qui fonctionne ! Je me dis aussi que j’ai une sacrée chance d’être ici, il fait bon, on est en forme, et tout va bien pour le moment, il n’y a pas de raison que ça change !
On avance pas si mal, cette première partie déroule bien et on s’applique pour rester sur le fil de l’arête et grimper tout ce qu’on peut.
On arrive assez rapidement sur le replat; on met les gaz et on dépasse les cordées. Je sais pas si c’est le réchauffement climatique, ma softshell ou mon manque d’entrainement, mais je suis trempée de sueur. Malgré tout, j’essaie de tenir le rythme.
La deuxième partie grimpe plus; les autres cordées prennent toujours les variantes qui passent sous les gendarmes, moi je serais pas complètement contre, si ça peut nous faire gagner un peu de temps, mais Guillaume me dit qu’on n’est pas venus ici pour niaiser, et que si c’est pour shunter les gendarmes, alors autant faire de la rando. Guillaume et ses arguments imparables. Du coup, on se tape tous les gendarmes, avec des variantes grimpes pas si faciles… On a dépassé 2 cordées, et il y en a une qui dit de nous qu’on a pris la “harder line” et je me sens un peu comme Catherine Destivel. Pis je me vois poser mon genou pour le rétablo, et je me dis “ah bah finalement non”.
Bon, en vrai, les variantes grimpantes de Guillaume, elles sont cool. Le rocher est super bon, et ça fait de jolies photos, alors pourquoi se priver! Je suis trempée de sueur, je serais pas contre une petite pause mais y’a mon grand barbu qui me dit “allez Elise, t’avance là”. Alors bon j’avance. On poursuit avec plusieurs gendarmes, qu’on gravit tous sans exception. On voit les autres autres cordées qui les contournent systématiquement, j’ai de la peine à comprendre, mais bon, au moins on n’est pas dérangés par la foule.
Tout est fluide, on n’est certes pas des fusées, mais on avance bien il me semble, et malgré le vide abyssal côté italien et le peu de matériel sur place (4-5 friends coincés sur l’arête et 2-3 pitons), ça roule et on progresse bien en corde tendue la plupart du temps. Je me dis tout le temps que les difficultés vont arriver, et que je vais bien finir par galérer et hurler.
On escalade un autre gendarme, et on rejoint une cheminée. Guillaume et son mètre 91 n’aime pas les cheminées, moi je trouve ça chouette et je le rejoins sans souci.
On voit maintenant la dernière partie, le sommet n’est plus très loin! ça se raidit méchamment et Guillaume me dit qu’il y a un pas de bloc. Je HAIS les pas de blocs. Mais il me dit qu’il y a de bonnes mains. Alors j’essaie de me concentrer et ô miracle je passe ça sans souci, alors que y avait du gaz sous mes pieds et que je déteste ça. Je sais pas si c’est l’effet ananas en boîte ou quoi, mais plus rien ne m’arrête!
On arrive après 4h de grimpe au sommet tout exigu, et là 2 sentiments s’emparent de moi “yes mais trop beau on y est!!” et “ putain va falloir redescendre tout ça”. En effet, on voit la cabane, minuscule petit point noir entouré d’une mer infinie de gros cailloux…
On décide de ne pas faire trop long au sommet et d’enchaîner avec la descente qui est tout sauf une descente au départ, puisqu’après un premier rappel, il faut contourner 3 gendarmes et remonter un peu sur des gendarmes histoire de varier les plaisirs !
Mais on y arrive relativement bien et on poursuit la descente, j’essaie de ne pas penser aux 2000m de dénivelés qui nous séparent du télésiège et d’y aller par étape. C’est de la désescalade pas trop compliquée mais barbante comme toutes les désescalades. Mais contre toute attente la partie technique de la descente passe assez vite, et en une heure on est dans les gros cailloux où on enlève nos baudriers. La cabane est toujours un minuscule point noir, et l’interminable pierrier qui nous attend me fait penser à celui du Grisighorn. Bon alors c’est pareil, mais en plus chiant, ce qui en soi est un exploit ! Les pierres bouges, mes cuisses sont en feu, mes cheveux sont littéralement collés à mon visage, je me dis qu’on y arrivera jamais.
On cherche les cairns – enfin plutôt Guillaume cherche les cairns et moi j’essaie de suivre Guillaume, la cabane se rapproche doucement mais elle se rapproche, on croise un bouquetin qui chill et qui doit sans doute se dire à juste titre que je ne ressemble à rien, et on arrive enfin à la cabane ! Il est 14h. On ne s’arrête que pour prendre nos affaires laissées la vielle et on poursuit la descente pour aller au resto de l’Amlagelleralp.
Guillaume me sème, chaque pas devient un calvaire, j’ai chaud, je veux un Rivella (et un hélico). Je le rejoins, j’ai perdu la notion du temps, je m’envoie un Rivella et une tarte aux myrtilles mais j’ai même pas si faim, Guillaume court pour choper le dernier télésiège, que moi je loupe pour 10 minutes, et revient me chercher avec la voiture. Je me dis que j’ai bien fait de l’épouser, quand même.
Voilà, notre bambée au Portjengrat. C’est long, c’est joli, et pas si difficile, enfin moi je trouve (moi = celle qui grimpe tout en second, hein!).
Bref, vive la vie, vive les ananas en boîte et les boulets des cabanes, mais surtout vive les montagnes avec Guillaume, quelle chance on a de pouvoir vivre ces instants ensemble !
Infos et topo
Portjengrat, arête S / AD+ 4c>4a III P3
Topo (je vous recommande de monter en vélo à l’arrivée du télésiège pour ne pas être stressé par l’horaire et vous éviter 200m de dénivelés; 2000m c’est déjà suffisant!)
Pause ravitaillement : Almagelleralp Restaurant, délicieuse tarte aux myrtilles avec vue sur le Portjengrat!
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